Définitions
Le
terme de violence caractérise ce qui se manifeste avec une
force intense, extrême, brutale. Il concerne aussi bien les éléments
que les êtres vivants. Il traduit un abus de force avec un caractère
intense, brutal et aveugle sans relation à l'autre.
La
notion de violence se réfère généralement à
la violence physique .
Le
concept de "violence sociale" implique une force dévastatrice
et destructrice, sans projet et d'autant plus difficile à contrôler
qu'il n'y a rien à négocier. Actuellement, il est utilisé
plus volontiers que d'autres termes tels que agression, maltraitance, affrontement.
Le
terme d'agression est utilisé pour traduire l'attaque contre
les personnes et les biens, visant à les détruire, à
les humilier. Ce concept implique un rencontre, une relation. Le comportement
agressif a été considéré par Freud comme "une
prédisposition pulsionnelle originelle et autonome" contre laquelle
s'efforce de lutter la culture.
La
maltraitance concerne un ensemble de comportements préjudiciable
à une personne dans la continuité d'un lien déjà
établi.
L'affrontement
est le fait d'aller hardiment en face d'un adversaire ou d'un danger
et la notion de conflit implique la rencontre d'éléments
contraires, incompatibles.
Ainsi,
par rapport aux termes d'agression ou de maltraitance, le concept de violence
implique un rapport à l'autre déshumanisé. Il évoque
une réalité abstraite qui n'interpelle pas l'individu dans
ses capacités d'émotion, de réflexion et d'identification.
Cette mise à distance peut amener à considérer "la
violence" comme un phénomène étranger à l'être
humain, comme une "déviance" que l'on doit "corriger" par un effort
de "gestion" de la Société.
Or,
le problème est infiniment plus complexe car la violence peut être
aussi considérée comme une des dimensions fondamentales de
la personne humaine, habitée à la fois par des pulsions de
vie et de mort. N'est ce pas l'être humain, en effet, le seul animal
capable de meurtres "intra-spécifiques"?
Bien
plus, lorsqu'on essaye de définir, concrètement, une conduite
violente ou un acte de violence, on se heurte immédiatement
au problème du choix des critères et du cadre de référence
que l'on se donne. Un "acte" n'apparaît jamais aussi "violent" pour
son auteur que pour sa victime. Et, il est admis actuellement qu'un acte
ne peut être jugé comme violent qu'en référence
à des normes, à une situation et à un contexte. Un
acte de violence est avant tout un acte de transgression. Ainsi, le même
acte pratiqué sur un terrain de rugby, dans une cour d'école
ou à la chambre des députés ne sera pas considéré
de la même façon comme un "acte de violence".
La
notion de "violence symbolique" développée
par P. Bourdieu éclaire toutes les difficultés soulevées
par la définition des critères qui permettent de décider
de la violence d'un acte.
La
violence symbolique s'exprime à la fois, de façon objective
par des règles, des lois, des mécanismes de régulations
sociales et de façon subjective, dans les esprits, sous forme
de pensées, de schèmes de perception. Elle est l'aboutissement
d'un processus qui l'élabore à la fois dans les institutions
et dans les mentalités. Ainsi, cette violence symbolique apparaît
comme le résultat d'une longue série d'expériences
étalées dans l'histoire mais elle se présente comme
"naturelle", allant de soi.
Dans
cette perspective, le dominé perçoit celui qui lui fait violence
à travers des concepts, des systèmes de pensées que
la relation de domination a produit. De ce fait, il n'a à sa disposition
que les instruments de connaissance qu'il partage avec le dominant et qui
est précisément une expression de la relation de domination.
A
la différence de la violence physique, cette violence est douce,
invisible. Elle est associée à la domination linguistique
et fonde une relation de connaissance profondément obscure à
elle même. C'est une forme de pouvoir qui s'exerce sur les corps
et les esprits directement, comme par magie, en dehors de toute contrainte
physique. La plus grande violence serait ainsi celle du langage et paradoxalement,
la plus grande liberté proviendrait de notre capacité à
inventer de nouveaux symboles et c'est dans cette perspective que l'on
pourrait interpréter l'invention de nouvelles langues, dans les
banlieues "chaudes" de nos grandes villes, invention qui constituerait
un des rares moyens d'échapper à la violence symbolique de
la société à "2 vitesses".
Une
forme extrême de violence sociale est constituée par le phénomène
de "désaffiliation", rencontré dans les milieux de
la précarité et de l'exclusion (J. Furtos, 1999). On peut
d'ailleurs remarquer que ces termes de "précarité" et d'exclusion"
participent à cette violence symbolique dénoncée par
P. Bourdieu, dans la mesure où ils invitent à une lecture
laïque et professionnelle de la ségrégation sociale
en apportant une alternative conceptuelle aux notions de "pauvreté"
ou de "lutte des classes". Il n'y aurait plus là, en effet, une
réalité susceptible d'interpeller l'individu dans ses sentiments
de fraternité et de solidarité mais un problème social
parmi bien d'autres, mis à distance de tout investissement personnel
et émotionnel et nécessitant là encore un effort de
"gestion" de la société.
La
"désaffiliation", terme créé par Robert Castel, exprime
l'état des personnes qui ont perdu le sentiment d'être citoyen
et qui ne se sentent plus incluses dans la chaîne des générations.
A ce stade, l'exclusion sociale se double d'une auto-exclusion, tant physique
que psychique, qui se traduit par une négation de la souffrance.
Pour ne plus souffrir, il semble que le sujet se coupe de lui-même.
En effet, ces sujets refusent les soins et les aides qu'on leur propose
et ne semblent même plus capables d'assumer leurs propres souffrances,
physiques et morales. Il me semble qu'il y a alors une double violence,
celle infligée à "l'exclu" mais aussi celle qu'il nous inflige
dans la mesure où la souffrance, qu'il semble ne plus ressentir,
peut alors être vécue par ceux qui en sont spectateurs.
Quel
sens peut on donner aux comportements agressifs?
Si
l'on se place du coté des acteurs "de terrain", il est important
d'essayer de comprendre la signification d'un comportement agressif afin
d'y mettre fin et éventuellement de le prévenir. Dans cette
démarche, on pourrait s'inspirer des résultats de nos travaux
effectués chez 90 meurtriers ( 15 femmes , 75 hommes de 17 à
55 ans) soumis à des expertises pénales. (Timsit M. et Timsit-Berthier,
1993)
L'étude
des meurtriers peut être intéressante dans la mesure où
le meurtre constitue un acte de violence unanimement condamné dans
toutes les structures sociales.
L'étude
de variables psychologiques (Tests projectifs) et neurobiologiques (Potentiels
endogènes) nous a permis d'analyser le "processus criminogène"
en prenant en compte à la fois les dimensions motivationnelles et
relationnelles.
Ainsi,
nous avons pu ranger les sujets selon 2 axes:
1) Le
premier, celui des "Mobiles de l'action" a trait au caractère
utilitaire ou non utilitaire de l'acte d'agression. Et l'on peut distinguer
ainsi avec Karli (1987) :
a)
Les agressions appétitives, utilitaires qui visent à s'approprier
un objet convoité, à satisfaire un désir, à
se donner des sensations fortes (cf. vols, viols....).
b)
Les agressions non utilitaires, à visée défensive
qui visent à mettre un terme à une émotion douloureuse
en agissant sur la situation intolérable qui l'engendre.
2)
Le deuxième axe est relatif au statut de la victime par rapport
à l'auteur de l'agression.. Il renvoie à la notion éthologique
de proxémie, la victime pouvant être proche, familière
ou au contraire inconnue, étrangère.
Le
tableau à double entrée dessiné par recoupement de
ces deux axes permet de classer la quasi totalité des cas rencontrés
en quatre catégories:
-
Crime utilitaire/ victime inconnue, étrangère (22
sujets, tous masculins et jeunes). C'est le crime crapuleux ayant le vol
pour mobile le meurtre visant à en assurer la réalisation
ou à éliminer un témoin gênant. C'est dans ce
cadre que sont rangés les crimes sexuels.
-
Crime utilitaire/ victime proche (1 homme, 38 ans) C'est
le genre de crime le plus rare et celui qui provoque le plus d'opprobre.
C'est le cas des "empoisonneuses".
-
Crime non-utilitaire/ victime proche, familière (28 hommes,
15 femmes d'âge moyen). C'est le crime passionnel, légitimé
par la jalousie, la vengeance, l'humiliation. Le sujet a l'impression d'être
menacé dans son intégrité physique ou psychique et
l'acte meurtrier s'inscrit dans le cadre d'un drame passionnel et revêt
un caractère paroxystique.
-
Crime non-utilitaire/ victime inconnue, étrangère
(13 hommes d'âge moyen). Ce sont des meurtres commis dans un état
émotionnel paroxystique, sous l'influence de l'alcool et de drogues
qui se présentent chez des sujets animés de sentiments de
vengeance et de désespoir dans un contexte de frustration et de
ressentiment et qui s'en prennent à la foule anonyme.
A
ces quatre catégories, on peut ajouter un cas seulement où
le meurtre s'inscrit dans un contexte franchement psychopathologique.
L'application
de cette classification à d'autres comportements agressifs invite
à diversifier et à moduler nos façons de nous comporter
en face d'actes de violence en prenant en compte non pas l'apparence de
l'acte mais la signification qu'il peut avoir pour le sujet.
L'utilisation
de moyens répressifs et de sanctions ne peut avoir d'influence dissuasive
que sur les comportements agressifs à visée utilitaire de
sujets qui se présentent comme des prédateurs n'ayant aucune
capacité d'identification avec leur victime. En revanche, elle ne
peut qu'exaspérer les comportements agressifs de sujets déjà
sur la défensive et se sentant, à tort ou à raison,
menacés de toute part. Et l'on peut penser, avec P. Bourdieu, que
les "exclus", soumis à la violence symbolique de notre société
se trouvent souvent sur la défensive....
En
guise de conclusion:
Il
n'y a pas si longtemps, l'autorité qui posait les critères
de référence pour juger de la violence était constituée
par la Religion, l'Etat et la famille. Ce sont ces trois institutions qui
exerçaient la violence symbolique et c'est contre elles que s'élevaient
les protestations plus ou moins violentes des sujets qui cherchaient à
se libérer des liens de domination.
Actuellement,
c'est à travers des discours scientifiques que tend à s'exercer
cette violence symbolique et les discours "d'experts" visent souvent à
légitimer les rapports de domination.
On
peut espérer qu'un tel discours scientifique, même systémique,
ne sera pas élaboré par notre Association......
P.
Bourdieu, Sur le pouvoir symbolique, Annale, 1977, 3, 405-411.
R.
Castel. Les métamorphoses de la question sociale. Fayard,
1995.
J.Furtos,
ORSPERE, CH Le Vinatier, Rapport 48° journées nationales
Santé Mentale, Croix Marine, 1999
P.
Karli L'Homme agressif, Paris, Ed. Odile Jacob, 1987.
M.Timsit
et M. Timsit-Berthier, "Approche compréhensive du meurtre et des
meurtriers dans une perspective
psychobiologique", Ana'lise Psicologica. Psicologia
Legal. 1993,
XI, 1, 99 --115.
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