Afscet-café du 30 mai 2001, Café philo d'Antoine du 7 juin 2001.
Une introduction au plaisir
1)
Définition
Selon le Robert Méthodique [édition de 1983], le
plaisir est une ``sensation ou émotion agréable,
liée à la satisfaction d'une
tendance, d'un besoin, d'un désir, à l'exercice
harmonieux des activités
vitales.'' Le mot ``plaisir'' vient du latin ``placere'',
qui signifie plaire.
On peut distinguer trois sous-notions de plaisir.
D'une part, le plaisir peut être assimilé
au bien être, au contentement, dont le contraire est
le déplaisir, la douleur. En
exemple les expressions courantes suivantes : ``éprouver
du plaisir'', ``faire durer
le plaisir'', ``je vous souhaite bien du plaisir'', ``où
il y a de la gêne, il n'y
a pas de plaisir'', ``faire plaisir'', ``voulez-vous me faire
le plaisir de dîner
avec moi ?'', ``fais-moi le plaisir de te taire'', ``car tel
est notre bon plaisir''.
D'autre part, le mot plaisir exprime le plaisir sexuel, la jouissance,
l'orgasme, la
volupté ; ``le désir et le plaisir'', ``prendre du plaisir, prendre son plaisir'',
``avoir du plaisir'', ``donner du plaisir'', ``lieux de plaisir'', ``partie de
plaisir'', expression souvent employée dans la tournure ``ce n'est pas une partie de
plaisir''.
Enfin, le mot plaisir employé au pluriel renvoie à une émotion, un sentiment
agréable : ``les plaisirs de l'alpinisme'', ``ils ont l'air heureux, c'est un vrai
plaisir''.
2)
Hédonisme
Le mot ``plaisir'' en grec, se dit ``hedoné''. Nous en avons tiré dans la langue
française le mot ``hédonisme''. L'hédonisme est la philosophie morale qui fait
du plaisir le principe ou le but de la vie. Michel Onfray, dans l'art de jouir
[1991], nous dit : ``Toute existence est construite sur du sable, la mort est la seule
certitude que nous ayons. Il s'agit moins de l'apprivoiser que de la mépriser.
L'hédonisme est l'art de ce mépris.''
3)
Pharmacologie
Peut-on parler d'une pharmacologie du plaisir ? Le plaisir est relié à la
mémoire, la stimulation périphérique, l'activation,
le désir. Du point de vue
de la neurochimie, de nombreuses drogues naturelles ou artificielles peuvent agir et
procurer du ou des plaisirs. Nous retiendrons ici leurs noms, tels que la dopamine
(neurotransmetteur qui favorise l'autostimulation), la cocaïne, les narcotoiques
opiacés, l'acide gamma-amino-butyrique (ou gaba), qui est un neurotransmetteur
inhibiteur et a un rôle modulateur sur la biologie du plaisir, la sérotonine, les
peptides opiacés, la morphine ondogène, qui est une autodrogue et est stimulée
lors de chaque accomplissement du désir, les hormones, voire les neurotransmetteurs,
avec la prolactine, la lulibérine, la progestérone, etc...
Avec Jean-Didier Vincent et La biologie des passions [1986], nous savons
que ``la drogue interrompue, reste la douleur, souffrance qui n'a pas de sens parce
qu'orpheline''. Enfin, selon le Professeur Hervé Allain, du laboratoire de
pharmacologie expérimentale et clinique de l'Université de Rennes (voir
son site Web), ``peu de travaux ont éte consacrés à l'évaluation
scientifique des médicaments ou de diverses substances sur le plaisir ou même la
sexualité''. Il nous met donc en garde contre les charlatans !
4)
Dualité plaisir-douleur
Le plaisir s'oppose à la douleur, qui sert de base à l'approche des bouddhistes
[depuis 600 ans avant JC]. Les ``quatre nobles vérités'' du Bouddhisme,
peuvent s'énoncer de la manière suivante :
1) l'existence est douleur : naissance, maladie, mort, réunion avec ceux que l'on
n'aime pas, séparation d'avec ceux que l'on aime, non-obtension de ce que l'on
désire,
2) l'origine de la douleur est dans la soif, les appétits /
passions : soif de
jouissance (désirs), d'existence, d'inexistence,
3) l'arrêt de la douleur est l'arrêt de la soif génératrice des
renaissances, associée au plaisir et à la passion,
4) le ``chemin qui mène à l'arrêt de la douleur''
est une voir octuple.
Pour sortir du cycle des naissances et des morts, c'est à dire atteindre le
nirvana, il faut commencer par se libérer de la cause de la souffrance, le désir,
lié intimement à la vie. Le Dalaï Lama dans Cent éléphants sur un
brin d'herbe [1990], le rappelle : ``Le détachement des plaisirs de la vie ordinaire
est lié à la volonté de se libérer de l'existence cyclique''.
5)
Platon
Dans son ouvrage Le Banquet [385 avant JC.] Platon insiste sur le fait que
l'Amour est double : ``Comment nier ici l'existence de deux déesses ? La plus
ancienne [...] n'a point de mère et est fille de Ciel, celle que nous nommons
Céleste. Mais il y en a une autre, fille de Zeus et de Diôné, celle-là même
que nous appelons Populaire...'' Et Platon d'ajouter :
``Celui qui tient à Aphrodite la Populaire est lui-même véritablement
populaire, et ses réalisations ont lieu à l'aventure : c'est lui qu'aiment ceux
d'entre les hommes qui n'ont point de valeur ; et les gens de cette espèce, en
premier lieu, n'aiment pas moins les femmes que les jeunes garçons ; en second
lieu, ils aiment le corps de ceux qu'ils aiment plus que leur âme.''
6)
Libertinage
Au 18 ième siècle, le libertin est celui qui ``s'adonne sans retenue aux plaisirs
charnels'' [Petit Larousse de l'an 2000]. Le marquis de Sade, en 1795, dans
l'essai Français, encore un effort si vous voulez devenir Républicains,
tiré de La philosophie dans le boudoir, donne un exposé provocateur à
propos de la religion et des moeurs, que Maurice Heine analyse en trois points.
Premièrement, l'individu porte la seule force réelle et organique des
sociétés humaines. En second lieu, Sade critique les contraintes sociales qui
tendent à réduire en quoi que ce soit l'activité de
l'incoercible élément
humain. Enfin, au lieu de proposer un Contrat Social, il convient d'élaborer un
``compromis''.
Sade propose la maxime suivante : ``j'ai le droit de jouir de ton corps, peut me dire
quiconque, et ce droit, je l'exercerai, sans qu'aucune limite ne m'arrête dans le
caprice des exactions que j'aie le goût d'y assouvir'', et il ajoute ``les délits
que nous devons examiner dans cette seconde classe des devoirs de l'homme envers ses
semblables concernent dans les actions que peut faire entreprendre le libertinage,
comme plus attentatoire à ce que chacun doit aux autres, la prostitution,
l'adultère, l'inceste, le viol et la sodomie''. Et Lacan de conclure ``le sadique
nie l'existence de l'Autre''.
7)
Principe de plaisir
n sur les deux principes du fonctionnement psychique
[1911], Freud énonce le principe régissant le comportement psychique selon lequel
l'activité psychique a pour but d'éviter le déplaisir et de procurer du
plaisir. Le principe de plaisir exige la satisfaction, par les voies les plus
courtes, de toutes les pulsions conscientes ou inconscientes du psychisme humain.
Dans Au delà du principe de plaisir [1920], Freud ajoute que ``le principe
de plaisir convient à un mode primaire de travail de l'appareil psychique''.
Le principe de plaisir s'oppose au ``principe de réalité'', que Freud introduit
ainsi dans Au delà du principe de plaisir : ``sous l'influence des pulsions
d'autoconservation du moi, le principe de plaisir est relayé par le principe de
réalité ; celui-ci ne renonce pas à l'intention de gagner finalement du plaisir
mais il exige et met en vigueur l'ajournement de la satisfaction ...''
8)
Plaisir et jouissance
Il faut d'abord prendre en compte le fait essentiel que la jouissance est porteuse de
mort. Le principe de réalité, ``d'autoconservation du moi'' s'oppose à la mort,
ce qui explique les phrases, en apparence contradictoires, de Lacan dans ses Ecrits [1968] : ``le plaisir fait barrière à la jouissance'', ``c'est le plaisir
qui apporte à la jouissance ses limites.''
9)
Plaisir sexuel
Le tantrisme est un ensemble de croyances et de rites issus du tantra et inspirés
de l'Hindouïsme et du ``Bouddhisme tardif''. Le tantrisme se donne pour but le
salut par la connaisance ésotérique des lois de la nature. Dans son ouvrage L'Amour tantrique [1999], Notya Lacroix est plus précise et définit le
tantrisme comme ``une technique venue de l'Inde permettant de magnifier et prolonger
le plaisir sexuel''. ``L'acte sexuel devient une cérémonie absolue, clef d'une
transformation intérieure, d'une augmentation de l'énergie sexuelle, d'une
meilleure connaissance de soi et de son partenaire. L'union tantrique, grâce à la
maîtrise et au contrôle exercés par l'homme, permet au couple d'atteindre
des orgasmes d'une puissance insoupçonnée''.
La Bible, dans Le Cantique des Cantiques,
nous fait une évocation de l'Amour
physique en des termes charmants de plénitude :
``Que tu es belle et que tu est
douce, Amour, pendant les délices. Te voici
debout, tu ressembles au palmier et tes
seins à des grappes. J'ai dit je monterai sur
le palmier me tenant à ses
aspérités. Que donc soient tes seins
comme des grappes de la vigne, et le parfum
de ton nez comme celui des pommes. Et ton palais
comme le bon vin... qui glisse vers
mon bien-aimé avec sincérité et
fait murmurer les lèvres des dormants''.
10)
Epicure
Epicure est un philosophe grec [de 341 à 270
avant JC.] qui vécut à Athènes et
fonda une école de pensée, le Jardin.
Disciple de Démocrite [400 avant JC.] qui
avait émis l'hypothèse que la matière
est formée par des grains
insécables (les atomes), il a une vision
matérialiste de l'Univers : ``tout est
matière'', ``la Nature est un mécanisme''.
Il élabore une théorie de la connaissance
fondée sur une fidélité à nos
sensations, à propos desquelles il propose :
``nous sommes dans
l'impossibilité de démontrer qu'elles sont
erronées'', et ``elles procèdent
par mode de contact et prouvent ainsi leur
capacité à nous faire connaître
la réalité telle qu'elle est''. Il
énonce comme autres critères de
vérité ``les affections, c'est à
dire le plaisir et la douleur'', et les
``prolepses ou anticipations''. Ayons la modestie
de constater que la Science moderne
n'a pas encore rempli le programme
philosophico-politique que se donnait Epicure.
Si, dans le langage courant, l'épicurien
est celui ``qui ne songe qu'au plaisir, un
sensuel, un jouiseur'', dans la Lettre à
Ménécée, Epicure se défend :
``Quand nous disons que le plaisir est le but de
la vie, nous ne parlons pas des
plaisirs de l'homme déréglé, ni
de ceux qui consistent dans les jouissances
matérielles, ainsi que l'écrivent des
gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la
combattent et la prennent dans un mauvais sens.
Le plaisir dont nous parlons est
celui qui consiste, pour le corps, à ne pas
souffrir et, pour l'âme, à être
sans trouble''.
Epicure concluera cette introduction : ``le plaisir est le commencement et
la fin de la vie heureuse''.
François Dubois, avec l'aide de Jeanne Julienne et Pierre Marchand, édition
août 2002.
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