ANDE 2002

 

Evolution, changement ou rupture dans l'entreprise

Point de vue d'un consultant.

 

Bernard Balcet

Juin 2002

 

 

 

 

Sommaire

1 - Propos

2 - Deux exemples

3 - Regard d'un consultant

4 - Double impasse ?

5 - L'autre

6 - Actions

 

 

 

 

1 - Propos

Le discours est souvent de dire : tout change, tout évolue, tout devient complexe. Et logiquement, il s'ensuit que les personnels des entreprises doivent développer, pour les uns, la mobilité, la réactivité, la capacité d'anticipation, et pour les autres la capacité d'animation, le charisme, la vision, etc. Mais est-il bien sûr que les choses évoluent autant ?

Avant d'entrer dans mon sujet, je voudrais rappeler ce qu'est un consultant. Fondamentalement, il s'agit de quelqu'un qui fait passer d'une situation non satisfaisante à une situation souhaitée. Pour cela, il lui faut franchir des obstacles et s'appuyer sur des ressources.

Autre précisions : il y a plusieurs catégories de consultants que l'on peut placer dans un petit tableau :

 

Conduite de projet

Conseil

Le problème est posé

Grands cabinets

 

Le problème reste à poser

 

Bernard Balcet

 

2 - Deux exemples

Mon grand-père a travaillé dans une entreprise La Schappe, fondée en 1842 à Briançon (Hautes Alpes) et qui a fonctionné jusqu'en 1933. L'idée était de valoriser les déchets de soie, matière première récupérée dans le monde entier et soumise à des procédés de fabrication spécifiques tant chimiques (lessives) que mécaniques (peigneuses). Les débuts de l'entreprise mettaient en ligne des compétences d'entrepreneurs, de financiers, d'industriels, de commerçants car les gains potentiels étaient prometteurs.

Mon père a travaillé dans une entreprise plus connue qui s'appelle Péchiney. Deux livres témoignent de son histoire, le premier couvre la période jusqu'en 1954, le deuxième, plus sociologique, si situe à une année particulière 1993/1994 représentative de l'évolution de l'entreprise. La saga de l'entreprise est passionnante. Elle comporte, elle aussi, une époque pionnière où le procédé structurait le développement de l'entreprise. Chimique au début, le procédé de fabrication de l'aluminium est devenu électrolytique avec Héroult, inventeur de ce procédé toujours en usage. L'évolution de l'entreprise vers l'aval nous frappe aujourd'hui avec le passage d'une époque où il fallait s'assurer de l'approvisionnement en matières premières (bauxite) à celle de l'emballage en passant par la rationalisation de la production de l'aluminium. Péchiney est maintenant une multinationale mais la société de mon grand père l'était aussi par suite de son incorporation dans un groupe suisse puis dans un groupe américain.

Chaque histoire est source de réflexion et d'une certaine manière, les choses ont évolué de façon similaire à des générations différentes dans des contextes apparemment sans rapport. Dans le détail, on voit que les mêmes problèmes se posent à des époques différentes avec des solutions similaires pourtant présentées comme nouvelles. Le débat est donc ouvert sur ce qui change et ce qui ne change pas, bien que les participants à ces histoires ont sans doute ressenti une forte impression de changement. Les fac-similés de registres tenus à La Schappe et présentés en séance à Andé montrent éventuellement les changements opérés dans les outils. Le premier est une sorte de cahier de laboratoire consignant des essais avec leurs résultats, le deuxième est une sorte de feuille de calcul de prix de revient, le tout étant écrit avec des pleins et des déliés.

 

3 - Regard d'un consultant

Le point commun aux regards portés sur ces deux exemples est la dominante technique et économique. Il est possible que l'impression soit différente si l'on se penche sur la dimension sociale. Mon métier de consultant en organisation et management me permet, grâce à une période couverte de plus de trente ans, de noter des évolutions dans le fonctionnement des entreprises depuis les années 60 en rapport avec le statut des employés et le mode d'intervention des consultants.

4 - Double impasse ?

Ce schéma montre aussi l'évolution depuis l'entreprise de production vers une entreprise immatérielle illustrée par le modèle du réseau. Les individus et les consultants évoluent pour s'adapter ou même éventuellement pour devancer le changement dans ce qui apparaît parfois comme une crise du sens. En effet, cette analyse et ces expériences aboutissent à un certain épuisement que ressentent fortement les personnes qui ont à réfléchir (consultants, chercheurs).

L'AFCET s'intéressait à la régénération des entreprises et l'AFSCET, qui lui a succédé, se penche davantage sur les problèmes de société. La nouveauté est que les solutions ne paraissent plus à portée de main et qu'il faut faire face à des ruptures conjointes dans beaucoup de domaines. En attendant se développent des situations de violence ordinaire dues à des pertes de repères. Serions nous arrivés à une double impasse, dans l'entreprise et dans la société ?

Mais les sociétés de conseil redoublent d'énergie. Un livre a été publié qui recense 146 méthodes d'organisation et de management. Certains spécialistes prédisent les développements des démarches qualité dans le sens du changement et de l'anticipation. D'autres multiplient les représentations de fonctionnements pour en faire apparaître la complexité (beaucoup de flèches). D'autres enfin recensent les obstacles à la mise en œuvre de projets. Par exemple, dans un projet de gestion des connaissances, sont signalées les difficultés comportementales et culturelles ainsi que les limites cognitives.

 

5 - L'autre

Les différents modes d'organisation figurant sur le schéma cohabitent dans le contexte d'aujourd'hui car tout ne fonctionne pas en réseau. Mais des signaux forts laissent à penser que nous débouchons de plus en plus sur des impasses alors qu'au même moment, des ruptures sont à l'œuvre : irruption du numérique et rupture dans la façon de penser.

Le numérique est plus qu'un progrès technique. Par sa flexibilité dans le temps et dans l'espace, il permet de réaliser enfin des rêves souvent déçus par le passé. En retour, il oblige à changer sa façon de penser et à creuser les questions autour des ontologies, des réseaux, du langage, de l'action, de l'intégration, de la pédagogie, de la pluridisciplinarité, etc.

Mais finalement, le point crucial n'est il pas la confrontation à "l'étrangeté de l'autre" dans des activités qui ont immanquablement une part collective ? N'est-ce pas la raison profonde de comportements ou d'activités surprenantes ? Il n'est pas question de s'étendre là dessus car c'est un vrai sujet (un peu tabou).

A ce moment de la présentation, un dessin a été projeté dans lequel on voit un agent immobilier faire visiter une maison en disant au couple qui se renseigne : bien entendu il faut faire abstraction du mauvais goût du propriétaire actuel et l'imaginer avec votre propre mauvais goût. (il s'agit d'un Voutch dans un numéro du Point)

 

6 - Actions

Si nous reprenons la réflexion sur la situation actuelle, nous constatons que l'individu est de plus en plus limité dans sa liberté de penser. Des injonctions, des statistiques, des jugements argumentés, des études fouillées, des audits éclairants, des analyses poussées, des recherches reconnues lui apportent des informations et des avis lui disant presque ce qu'il doit penser même si personne n'a cette intention.

Dans nos sociétés instruites, il y a peu de place pour une véritable écoute de l'autre et les dysfonctionnements, liés à cette absence de possibilité d'ajustement dans l'action, sont le point de départ de nouvelles analyses comme le préconisent les démarches qualité (le retour d'expérience). Il faut cependant reconnaître que d'autres recherches et d'autres réflexions vont dans le sens d'un certain lâcher-prise dans lequel une zone de liberté ou d'autonomie émerge et facilite l'atteinte des objectifs d'ensemble.

Il semble donc utile de développer une méthode spécifique avec comme terrain privilégié d'exercice l'action dans les réseaux de santé. En effet, ceux-ci sont un bon exemple d'exigences avérées dans le cadre d'un travail immatériel. La dimension collective et l'absence de hiérarchie qui caractérisent un réseau ne doivent pas inquiéter mais plutôt inciter à réfléchir à de nouveaux types de fonctionnements.

Derrière cette représentation, il y a toute une méthodologie de conduite de changement qui résout le problème du passage du local au global. Elle nécessite cependant un travail sur les acteurs influents pour qu'ils facilitent l'appropriation des concepts de zone de liberté et d'autonomie.