Hersonissos, Heraklion, Crête, 16 au 19 Octobre 2002.
Résumé Hersonissos, Iraklion, Crete, October 16-19, 2002.
Abstract
Elémentarité
La molécule est le constituant élémentaire de la chimie. Elle nous apparaît en très grand nombre à notre échelle humaine, et le nombre k=80 de fois que j'ai dû couper mon verre d'eau en deux a été choisi de sorte que où 6. 1023 est le nombre d'Avogadro, ordre de grandeur du nombre de molécules d'eau dans un verre d'eau. L'idée-même de l'existence d'une molécule d'eau ''élémentaire'' n'est pas du tout évidente quand je regarde un verre d'eau. Celui-ci apparaît au contraire comme un milieu continu, que la mécanique des 18ième et 19ième siècles (Bernoulli, Euler, Cauchy, Navier, Saint-Venant, Stokes, etc.) nous ont appris à décrire correctement. Ce sont les transformations telles que décrites par la chimie moderne, qui naît à la même époque avec les travaux de Lavoisier, Berthollet, Berzelius, Gay-Lussac, Kékulé, qui rendent nécessaires la notion d'atome. Ceci suppose in fine deux choses : (i) il existe un objet élémentaire qu'on appelle ''molécule d'eau'' , (ii) l'objet élémentaire ''molécule d'eau'' a une structure. Il existe des molécules plus simples que la molécule d'eau. La molécule d'hydrogène (H2) est formée de deux atomes d'hydrogène liés entre eux et il en est de même pour l'oxygène (O2). Si on étudie dans le détail une molécule d'hydrogène (elle a l'avantage d'être la plus ''simple'' des molécules, sans être triviale), on découvre que la distance entre les centres des deux atomes (typiquement un nanomètre, soit 10 puissance -9 mètre) correspond à un équilibre dynamique entre les forces électrostatiques qui lient les constituants de l'atome d'hydrogène et le mouvement des électrons et des noyaux. La matière est donc constituée d'une multitude d'objets élémentaires. Quand nous ''coupons en deux parties'' un tel objet, nous devons dépenser de l'énergie et si nous le cassons, nous le transformons et nous le faisons disparaître en tant que quantité propre.
Quantique
Rappelons que la structure interne des molécules et des réactions chimiques met en évidence un ensemble d'''éléments'' atomiques, classifiés au milieu du 19ième siècle par Mendeleiev. Ce tableau commence par l'hydrogène, continue par l'hélium, le lithium, le beryllium, le bore, le carbone, et caetera. Grâce à la présence de nombres entiers qui classifient les divers éléments (un pour l'hydrogène, deux pour l'hélium, trois pour le lithium, six pour le carbone) et donne un cadre mathématique simple au tableau de Mendeleiev, on peut imaginer que l'atome est une structure stable de la matière et accessible à l'expérience, à condition soit de casser les molécules qui regroupent plusieurs atomes, soit d'''oublier'' que les atomes se regroupent et doivent être étudiés en interaction au sein de molécules. Aux conditions usuelles de température et de pression, la molécule H2O est donc plus stable que ses deux constituants. Nous devons pour la casser en deux ''tirer sur deux de ses atomes'', c'est à dire fournir de l'énergie, chauffer... Au sein d'une une molécule, il y a donc autre chose que la matière des atomes qui la constituent. Il y a l'interaction entre ces atomes, les relations entre les constituants de l'atome, mis en commun pour former l'objet ''complexe'' qu'on appelle molécule et qui constituent la ''liaison chimique''. Ainsi, nous avons vu que l'eau dispose d'une structure élémentaire, la ''molécule d'eau'', qu'on nomme H2O en référence à sa sous-structure plus intime. Ce qui nous importe ici est que pour toute une série d'applications, l'eau est une structure stable, qui existe selon les conditions extérieures de température et de pression sous des formes très variées comme solide (glace), liquide ou gazeux (vapeur d'eau) selon que les molécules sont ''collées'' les unes aux autres, ''roulent sans glisser'' les unes sur les autres, ou sont distantes, c'est à dire laissent entre elles une distance au moins comparable à celle de leur structure, de l'ordre du nanomètre. L'eau est un corps aux propriétés physico-chimiques fantasques, avec de nombreuses anomalies. Par exemple, à pression ambiante, la densité de la glace est inférieure à celle du liquide ; la glace occupe plus de volume qu'une même masse de liquide alors que les molécules sont ''soudées'' au sein d'un cristal régulier ! L'étude de la ''liaison hydrogène'' entre les atomes de deux molécules d'eau différentes permet de construire un modèle de la structure complexe qu'offre une simple goutte d'eau. Pour plus ample information, nous renvoyons le lecteur par exemple au dossier sur l'eau disponible sur le site web du Centre national de la recherche scientifique : //cnrs.fr/av /dossiers/doseau.
Indiscernabilité
Le modèle mathématique qui sous-tend cette réalité s'exprime de la manière suivante : la fonction d'onde ''psi'' est une fonction de N arguments quantiques ''élémentaires'' et dans l'échange de deux des arguments elle se transforme de manière particulière. On note ''tau-ij'' l'opération de transposition qui consiste à échanger deux états et sous l'action de ''tau-ij'' la fonction d'onde ''psi'' peut être inchangée ou bien changer de signe, ce qui la rend in fine symétrique dans le premier cas et antisymétrique dans le second. Les objets élémentaires de la théorie quantique sont de nature double : quand on assemble deux objets identiques, ou bien la fonction qui décrit l'assemblage est symétrique et on parle alors de bosons, en référence à Bose et Einstein qui ont inventé la statistique qui permet de quantifier leur comportement global, ou bien la fonction d'onde est antisymétrique et on parle alors de fermions, pour les particules qui suivent la statistique de Fermi et Dirac. Pour des raisons profondes délicates à expliquer pour lesquelles nous renvoyons le lecteur au modèle standard (voir par exemple le livre de Gilles Cohen-Tannoudgi et Michel Spiro [La matière-espace-temps ; la logique des particules élémentaires, Fayard, 1984], ou la page web [//perso.club-internet.fr /gicotan /modelestandard.htm] du premier auteur), les physiciens admettent que les bosons sont toujours les porteurs individualisés des interactions : photon pour la lumière, l'électricité et le magnétisme, c'est à dire l'ensemble de l'électromagnétisme, gluon pour l'interaction forte au sein des noyaux atomiques, neutrino et boson intermédiaire pour l'interaction faible, graviton encore à découvrir pour la gravitation de Newton et Einstein en cours de quantification géométrique. De manière duale, les fermions représentent les constituants ''ultimes'' de la matière, proton ou noyau de l'atome d'hydrogène, électron qui lui tourne autour à la manière de Rutherford et Bohr, en sautant d'un niveau d'énergie à l'autre dans la représentation spectrale qu'offre l'équation de Schrödinger. Une conséquence de l'antisymétrie de la fonction d'onde qui représente un ensemble de fermions est que deux constituants de matière de même nature ne peuvent occuper la même position : c'est le ''principe d'exclusion de Pauli''. La manière dont les objets quantiques ''font tourner l'espace autour d'eux'', ou tournent sur eux-mêmes dans un langage plus familier, est décrite de manière abstraire par le spin, qui ne se comprend bien que dans le cadre de la théorie mathématique de la représentation des groupes. De la même façon que la notion de nombre premier est une conséquence élaborée de la notion de nombre entier et de multiplication, la notion de spin est une conséquence de la notion mathématique de groupe, proposée par Galois et Klein au dix-neuvième siècle (dans la dynamique d'une pensée collective), dans le cas des rotations de notre espace ordinaire à trois dimensions. Ce qui est important à retenir est que le spin ''sigma'' d'un objet quantique est toujours un nombre entier ou multiple entier de un demi. De plus, les bosons (l'interaction, la relation) sont toujours de spin décrit par un nombre entier : zéro pour le neutrino, un pour le photon, le boson intermédiaire et le gluon, deux pour le graviton, alors que les fermions (la matière) ont un spin ''demi-entier'' : un demi pour les électrons, les protons ou les quarks.
Echelles
A toute petite échelle, intéressons-nous au noyau de l'atome. Selon l'hypothèse des quarks formulée par Gell Mann dans les années soixante, un assemblage de trois quarks et de leur interaction mutuelle ''colorée'' constitue dans les conditions thermodynamiques actuelles de l'univers un proton ou un neutron ainsi que l'interaction ''forte''. On n'a jamais réussi à isoler expérimentalement les quarks, mais on dispose d'un cadre théorique satisfaisant, le ''modèle standard'', pour expliquer cette impossibilité d'aller plus avant dans l'élémentaire. Les protons ou neutrons sont de masse comparable, mais de charges différentes puisque le proton est chargé et que le neutron, comme son nom l'indique, n'a pas de charge électrique. Dans la Nature, les protons et les neutrons sont regroupés sous forme de noyaux atomiques qui en comportent quelques unités à quelques centaines ; on les nomme ''nucléons'' pour cette raison. Ce noyau est très petit, de l'ordre du Fermi, soit 10 puissance -14 mètre. Les électrons (et ses compagnons variés, comme positron ou muon) sont aussi des particules élémentaires, très actifs et domestiqués dans les circuits électriques de notre quotidien. A échelle plus grande, l'atome. Depuis Bohr au début du 20ième siècle, on imagine un atome formé d'un noyau central très petit et très dense, et d'électrons très légers qui parcourent l'espace autour, échangent de l'énergie via des multiples entiers de grains élémentaires de lumière, les photons, quanta du rayonnement électromagnétique. L'approche quantique est également complètement efficace pour décrire l'atome et le succès de la prédiction des états d'énergie stables des atomes offerte par la résolution de l'équation quantique de Schrödinger peut être considéré comme une réelle victoire de l'Esprit humain. L'ensemble de tous les atomes est bien ''rangé'', par le nombre de protons que contient son noyau, ou d'électrons qui lui tournent autour, de manière à garantir la neutralité de la charge électrique. A une échelle plus grande encore, caractérisée aussi par des échanges d'énergie électrique et magnétique de plus en plus faibles, les molécules et leurs assemblages ''simples'', puis de plus en plus complexes qui caractérisent la biochimie des macromolécules. A un stade encore plus grand (le micromètre typiquement), la structure cellulaire apparaît, avec un noyau central, une membrane protectrice, des protéines actives et la capacité de se reproduire et aussi de disparaître, de mourir. Les assemblages de plus en plus complexes de cellules permettent de déployer l'ensemble du règne vivant, qui aboutit à de nouvelles structures stables, complexes, fragiles, mortelles et reproductibles, végétales et animales. L'homme est le prototype d'un tel être complexe. Au delà, aux ''échelles mégascopiques'', il n'est pas clair qu'il existe de structure élémentaire stable, même si Pierre Teilhard de Chardin avec sa ''noosphère'' [Le phénomène humain, 1955] ou James Lovelock avec l'hypothèse Gaïa [La Terre est un être vivant ; l'hypothèse Gaïa, Champs, Flammarion, 1987] imaginent la planète Terre dotée d'une structure d'être vivant régulé et pensant. Nous n'irons pas plus loin ici dans cette direction, un des objets favoris d'étude de la systémique.
Macroscopique-microscopique
Nous n'avons pas de mot simple pour dire ''l'électron passe par les deux trous des fentes d'Young'' ou si nous le disons, ils peuvent appeler de hauts cris d'impossibilité matérielle, alors que le modèle mathématique du dispositif expérimental et les prédictions qu'il permet l'admettent, et la comparaison de la prévision et des résultats accessibles est de l'ordre de la perfection intellectuelle ! D'ailleurs, l'expérience des fentes d'Young, où l'électron ''passe par les deux trous'' pourrait être reproduite avec des molécules ''lourdes'' comme par exemple le benzène, ainsi que le suggérait Alfred Kastler, l'un des inventeurs du laser dans les années soixante (voir par exemple le site //www.lkb.ens.fr) au cours d'un débat qui suivait un exposé qu'il venait de donner dans la salle Dussane, à l'Ecole normale supérieure, au début des années quatre vingts du vingtième siècle. La petitesse de la longueur d'onde de De Broglie (1923) associée aux objets ''massifs'' que sont les atomes demande pour faire ce type d'expérience de les ralentir en les refroidissant, ce qui a été réalisé au début des années quatre vingt dix au Japon. Les ''ondes atomiques'' ont une existence expérimentale... Pour les conséquences philosophiques de ce comportement non local de la matière, on renvoie aux travaux de Bernard d'Espagnat [A la recherche du réel, le regard d'un physicien, Gauthier-Villars, 1979], [Le réel voilé ; analyse des concepts quantiques, Fayard, 1994] et Michel Bitbol [Mécanique quantique, une introduction philosophique, Champs, Flammarion, 1996]. Cette contradiction entre les deux descriptions du monde est bien connue depuis presque un siècle. L'approche adoptée par nos contemporains consiste essentiellement à tenter de décrire de manière la plus précise possible le ''processus de mesure'' qui relie les diverses échelles micro et macroscopiques. Avec l'empilement des échelles spatiales, la multiciplité des particules et des interactions induit des pertes de cohérence, à la manière dont la lumière peut être polarisée dans une direction puis perdre cet alignement si elle est perturbée, ce qui n'est pas le cas du rayonnement laser où la phase de l'onde est conservée. Il faut faire alors des statistiques qui induisent une perte de la cohérence, et cette décohérence associée au changement d'échelle spatiale permet de comprendre qu'à une échelle macroscopique, les éléments microscopiques de la Nature aient un comportement classique. Pour les avancées récentes dont nous avons eu connaissance sur le sujet, on pourra consulter l'annonce Du monde quantique au monde macroscopique : la décohérence prise sur le fait sur le site web du Cnrs : //www.cnrs.fr /cnrspresse /n34a2.html, qui relate l'expérience faite par Serge Haroche, Jean-Michel Raimond et leurs collègues, publiée en 1996, ainsi que le livre de Roland Omnès [Alors l'un devint deux ; la question du réalisme en physique et en philosophie des mathématiques, Flammarion, 2002].
Hypothèse fractaquantique
Le grand comme le petit ?
Ce comportement dynamique indifférencié peut être vu comme une trace de l'indiscernabilté quantique à l'échelle des cellules. De plus, les approches modernes du cancer comme celle proposée par exemple par Danièle Saltarelli analysent la dynamique d'une cellule cancerreuse comme ''un retour à un état primitif'' en réponse à un ordre d'apoptose transmis par les voisines. Ce ''refus de la mort'' pourrait à un niveau donné d'échelle, entraîner une volonté, pour une cellule, de vivre ''pour soi'', se séparer des autres tout en continuant de se multiplier. En un sens, le cancer résulte d'un soucis d'immortalité des cellules qui ''veulent vivre pour elles-mêmes'', au lieu de s'éliminer au bénéfice d'une demande émanant d'un ''autre niveau d'échelle''. En vingt ans de ce régime, on développe un cancer et c'est l'individu, l'univers à une échelle supérieure, qui meurt. On observe donc pour les cellules une absence d'indiscernabilité totale, c'est à dire une rupture partielle de l'invariance d'échelle de la mécanique quantique, qui crée l'individuation, l'unicité, et probablement la conscience. L'indiscernabilité est au coeur des fondements de la théorie quantique. La conséquence première est que cette théorie ''divise'' le monde selon une dialectique d'interaction et de matière, de relation et d'objet, de lien et de chose. La première question qui se pose lorsqu'on imagine que l'homme, l'être humain, peut être décrit par la théorie quantique, que l'homme est une ''particule élémentaire'', comme nous l'avons formulé plus haut avec l'hypothèse fractaquantique, est de rechercher en quoi consiste son indiscernabilité, l'identité profonde qui existe entre tous les être humains jusqu'à les imaginer interchangeables ! Il faut avoir une pleine conscience du caractère inattendu de cette question d'un strict point de vue scientifique. Mais si nous faisons ici l'hypothèse que le monde est quantique et fractal, alors les éléments de la théorie quantique peuvent d'une manière qui reste à élaborer s'appliquer à ''l'élément insécable'', ''l'être unique'' qu'est la cellule ou l'être humain. L'un des éléments les plus fondamentaux de la théorie, à savoir l'indiscernabilité, a donc sa part spécifique de vérité qu'il s'agit de découvrir. Bien entendu, cette indiscernabilité est l'opposé absolu de toutes les apparences que nous vivons tous les jours : profonde altérité, unicité, éloge de la différence chère à Albert Jacquard [Eloge de la différence ; la génétique et les hommes, Seuil, 1978], qu'il ne peut être question ici de remettre en cause. L'homme est un être élaboré et complexe, qui est sur une pile fractale dont nous connaissons maintenant quelques étages : atome et physique, molécule et chimie, cellule et biologie, humanité et ses disciplines d'étude comme la médecine, la politique et la religion... A ce titre, son caractère quantique ne peut en aucune façon être de l'ordre de l'évidence, tout au contraire !
Apparences
Noter que la vision scientifique et opératoire de la mécanique de Galilée qui fait tourner la Terre autour du Soleil ne contredit pas la description des apparences. Nous avons peut être appris à l'école de Jules Ferry que ''le Soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest''. C'est la relativité du mouvement de la Terre sur elle-même (son spin) qui, vu par l'homme qui fut et demeura sur la Terre jusqu'en 1961, donne aux habitants de cet monde ''tournant'' les apparences que le reste de l'univers tourne autour de lui, et qu'en particulier ''le Soleil tourne autour de la Terre''. Nous sommes donc capables de vivre avec une phrase telle que ''le Soleil tourne autour de la Terre'' qui a un double statut de vérité : elle est vraie du point de vue de l'apparence de l'homme sur une planète dont il ne perçoit pas la petite taille dans l'univers et il la croit tellement grande qu'elle est son propre univers ; elle est fausse pour l'astronome moderne qui ''voit la Terre dans son regard'' et permet de rêver le voyage dans cet univers étendu (Cyrano de Bergerac, Bernard de Fontenelle, Jules Verne, H.G. Wells) avant de le concevoir (Tziolkowski, Goddard, Von Braun, Korolev) puis de le vivre jusqu'à changer de planète ( Gagarine, Armstrong). Une conséquence première de l'hypothèse fractaquantique est que nous devons rechercher, avec les outils méthodologiques de la rigueur scientifique, en quoi deux être humains sont indiscernables au point de pouvoir être échangés, et d'imaginer des protocoles expérimentaux pour en mesurer les effets. La difficulté première est que nous sommes au coeur des échelles de longueur et qu'il nous est de fait impossible de ''prendre du recul'', id est de rapetisser à la taille d'une cellule ou bien de grandir démesurément jusqu'à devenir planète afin de développer une autre vision de l'Univers que celle accessible à notre échelle ''macroscopique''. Toutefois, les travaux récents de Laurent Nottale [La relativité dans tous ses états, Hachette, 1998] devraient pouvoir nous venir en aide. Notons pour compléter l'analogie précédente qu'il ne faut pas oublier qu'à ses débuts, la théorie de Copernic de la Terre tournant autour du Soleil selon un cercle parfait de ''marchait'' pas, ainsi que le rappelle Alexandre Koyré dans l'introduction de l'édition moderne de son ouvrage [De Revolutionibus orbium coelestium, 1543]. L'idée simple du Soleil au centre de l'univers et des planètes tournant autour de lui n'était pas opératoire comparée aux raffinements technologiques développés par l'école de Ptolémée. Il a fallu imaginer une ''petite perturbation'' du cercle, avec les ellipses de Tycho Brahé et de Képler (début du 17ième siècle) pour aboutir à une description expérimentalement correcte !
Foules
Toutefois, la manipulation du comportement des foules par des régimes totalitaires au vingtième siècle nous incite à réfléchir à la nature de cette interchangeabilité possible qui se manifeste en ces occasions. Les références théoriques sur le sujet remontent à Le Bon [Psychologie des foules, 1895]. Sans prétendre ici faire une analyse de ce travail, la foule de Le Bon est un être nouveau où chaque composante humaine est réduite à une composante très primitive, proche de l'animal, au bénéfice des liens forts entre les éléments de base. Ainsi ''chez une foule, tout sentiment, tout acte est contagieux'' et ''la personnalité consciente est évanouie''. L'ouvrage de Le Bon sert de point de départ au travail de Freud sur le même sujet [Psychologie des foules et analyse du moi, 1921]. Sans vouloir ici non plus proposer une étude approfondie du lien entre ce travail fondateur de Freud et le nôtre, notons que Freud ''fait l'hypothèse que les relations amoureuses constituent l'essence de l'âme des foules'', et voit la libido, id est ''l'énergie des pulsions qui ont affaire avec ce que nous résumons sous le nom d'amour'' l'élément structurant des foules. Ainsi, ''l'essence d'une foule réside dans les éléments libidinaux présents en elle''. Nous admirons ici la créativité de cet auteur lorsqu'il analyse des structures telles que l'Eglise et l'armée comme des foules artificielles. Nous retenons l'importance des liens forts entre les éléments d'une foule, que Freud nomme ''liens libidinaux'' et que le langage de la physique moderne appelle simplement ''interaction''. Cette cohérence, née du chaos avec la vision de la foule comme celle de la ''horde originaire'', se structure avec les organisations hiérarchiques où telles les cellules chaque être potentiellement interchangeable occupe des fonctions sociales bien repérées. Toujours selon Freud, potentiellement, ''nul ne doit se mettre en avant, chacun doit être et avoir pareil''. Nous retenons le lien probable entre le comportement des foules et le caractère d'indiscernabilité induit par l'hypothèse fractaquantique. Bien entendu, le caractère caché et premier de l'indiscernabilité renvoie assez naturellement à des comportements premiers de l'homme, tant du point de vue de l'être que du point de vue du relationnel.
Au delà de la danse
Au delà de deux, l'art de la danse introduit la structure, la discipline, mais aussi la liberté et le respect de l'altérité. Nous n'avons pas aujourd'hui d'analogie claire entre les travaux anciens (John Playford, 1651) et récents sur le sujet, pour lesquels nous renvoyons le lecteur à France Schott-Billmann [Le besoin de danser, éditions Odile Jacob, 2001] et Yvon Guilcher [ La danse traditionnelle en France ; d'une civilisation paysanne à un loisir revivaliste, Modal Folio, 1998] et les approches quantiques. Nul doute qu'elle ne peut qu'être difficile, quand on sait la complexité qu'il y a à analyser mathématiquement les grands assemblages quantiques : équation de Schrödinger, modélisation de Hartree-Fock, théorie quantique des champs, diagrammes de Feynman, renormalisation, etc. Il ne fait pas de doute que l'élaboration d'une sociologie quantique (expression que nous évoquions avec Pierre Marchand il y a bientôt dix ans) est également un chantier à entreprendre, en cohérence avec l'approche déjà systémique proposée par Sylvie Joubert [La raison polythéiste ; essai de sociologie quantique, l'Hermattan, 1991]. Nous pourrions y traiter par exemple du plaisir collectif de la fête communautaire, des vibrations collectives lors d'une manifestation sportive de masse, l'énergie individuelle acquise lors du rassemblement pour une même cause, politique ou humanitaire. Enfin, les approches mystiques et religieuses proposent également une perception de cette indiscernabilité... Pensons par exemple aux paroles chrétiennes de l'Evangile telles que ''tu aimeras ton prochain comme toi-même'' et aux mots actuels du Dalaï Lama [Cent éléphants sur un brin d'herbe, Points Sagesse, 1990] : ''au tréfonds de nous-mêmes, nous devons avoir une réelle affection les uns pour les autres, reconnaître l'évidence de notre condition commune''. L'identité des êtres, conséquence de l'hypothèse fractaquantique, renvoie à une réalité complexe. Il ne peut être de notre propos ici de développer ce point, mais une lecture approfondie des grands textes mystiques pourrait permettre de donner des intuitions plus précises d'un strict point de vue scientifique !
Envoi
Si l'on imagine que l'univers est le même à toutes les échelles spatiales, qu'il est fractal, l'exploration rigoureuse de cette hypothèse fractaquantique entraîne qu'à notre échelle, les ''éléments insécables'', id est ceux dont les propriétés ne se dupliquent pas identiques à elles-mêmes si on les sépare en deux parties, sont des ''éléments quantiques'', donc indiscernables. Cette indiscernabilité opératoire dans le monde microscopique doit s'appliquer aussi aux éléments insécables macroscopiques, à savoir par exemple aux cellules et aux êtres humains, ce qui constitue une hypothèse en conflit avec la richesse de complexité offerte par la vision classique du monde. Le développement futur de l'hypothèse fractaquantique passe d'abord par une amélioration de son énoncé qui conduise à la possibilité d'expérimentation, donc de réfutation-validation. En particulier, nous devons approfondir les analogies entre le monde quantique microscopique et le monde macroscopique dans le cas d'interactions élémentaires entre deux acteurs, puis plus complexes avec de nombreux acteurs. De plus, le respect de l'''évidence classique'' et de l'altérité nous impose de comprendre comment l'invariance d'échelle quantique est brisée, ou tout au moins semble l'être, aux échelles macroscopiques.
Remerciements
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Edition du 25 septembre 2006, mise à jour 03 January 2009. |
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