Texte de Hassan Karkar (mai 2000)

Le problème que je me pose est le suivant : existe -t - il une écriture pour la peinture .

    Pour la musique il existe un système díécriture qui permet d'avoir une mémoire standard d'un morceau dont on peut s'emparer et recréer (jouer, exécuter) le morceau en question. Ce système d'écriture musicale permet d'avoir plusieurs interprétations du m'me morceau et donc une certaine appropriation. Si un système d'écriture picturale existait, il permettrait de nouvelles créations (dans le sens interprétations) d'un tableau original. Il ne s'agit pas de faire des copies qui ressemblent le plus a l'origine (au quel cas le tableau lui m'me suffit, tout comme ses copies fidèles), mais d'un système qui permette une certaine liberté dans l'exécution et qui permettrait une certaine appropriation du tableau par ceux qui exécuteraient 'son' écriture picturale. L'unicité joue un rôle important car elle permet la caractérisation. De m'me qu'on peut assister a un concert , et avoir chez soi un enregistrement du concert en question par un procédé analogique ou numérique, on peut voir un tableau et avoir chez soi sa copie (photo, ou reproduction sur disquette ou une copie fidèle en peinture). Tout cela ne donne pas la m'me appropriation que lorsque on joue le morceau qu'on a entendu m'me si c'est avec un autre instrument. Quelle écriture pourrait-on exécuter chez soi? On voit bien que l'enregistrement d'un tableau par une scannarisation la plus fidèle ne peut 'tre considérée comme son écriture picturale, m'me si comme dans les copies on peut gérer quelques variations. Et cela ne veut pas dire non plus que l'ordinateur et la représentation numérique du tableau ne pourront pas jouer un rôle dans l'écriture ou dans son exécution.

    Dans cette recherche, et au moins pour le moment, on peut oublier l'épaisseur si importante dans une peinture au couteau par exemple , le relief pouvant par exemple 'tre considère comme le timbre de l'instrument musical utilisé lors d'une exécution.
De mon point de vue, la non existence d'écriture picturale est une des causes essentielles du nombre relativement faible des peintres comparé par exemple a celui des musiciens. Elle expliquerait aussi la diffusion sociale restreinte de la peinture comparativement a la musique au niveau des adultes, car chez les jeunes enfants on trouve l'expression picturale a égalité avec l'expression musicale. C'est d'ailleurs a partir de l'évolution d'un certain nombre d'enfants dont je me suis occupé dans des animations périscolaires que cette question m'est venue. Je leur proposais autant d'activités musicales sur ordinateur que d'activités picturales et avec l'âge j'ai remarqué un relatif désintéressement pour les activités picturales. Au désir de créer sans aucun modèle en peinture comme en musique, a suivi un désir d'une création orientée vers la reproduction (on rejoue un morceau, une chanson etc...) comme si ce désir de mimétisme dérivait d'une nécessité de reconnaissance, de communication, et d'identification. Cette hypothèse a été renforcée chez moi par le fait que les activité picturales qui résistaient le plus ( se prolongeaient le plus longtemps avec l'âge des enfants) étaient les arabesques et les différentes constructions géométriques y compris les fractales.

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Réponse ....

- Première question.

    On dit qu'« il y a toujours une certaine régression quand on accède à un stade de plus grande complexité (de développement?) ». Dans tous les exemples que tu cites pour constituer l'articulation historique du développement de l'homme, chaque nouveauté technologique, chaque étape de développement vient heurter l'état présent et faire craindre le pire à ceux qui s'y trouvent « installés ». Il faut s'adapter (c'est le discours proposé, le maître mot !), les métiers changent, les habitudes aussi, et finalement, cet « aiguillonnage permanent » est d'autant plus bénéfique qu'il s'esr assimilé pleinement dans une certaine vision « maso » du monde.
Ext-ce qu'au moment de ces terribles intrusions (dans l'environnement humain) telles l'énergie, la machine, l'information ... on n'a pas ce sentiment de régression, comme s'il nous fallait abandonner des positions acquises, presque comme des valeurs! Ton texte est celui d'un homme optimiste, qui voit loin (j'adhère pleinement), et l'on accepte de conclure, avec toi, « que c'est, in fine, pour notre plus grand bien ...!! ». Mais cette idée de retour en arrière, de mise en retrait nécessaire (comme pour rassembler ses forces avant un bon en avant) doit-on en parler comme une incontournable transformation interne, un malheur « mérité » et de ce fait devoir régresser ou revenir à un stade antérieur (lequel ?) ou bien ... .y aurait-il un mode d'apprentissage, à la limite une façon de penser le monde, en d'autres termes, une voie « positive » qui rejetterait définitivement cette phrase stupide mais qu'au fond on porte bien ancrée en soi (et pour les autres encore plus!) : « on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs ! ». Au fond, positivement, on pourrait dire qu'avant chaque déferlante technologique l'homme occupant certaines positions qu'il n'aurait pas du : comme s'il s était attaché à des tâches dont le caractère machinal allait fatalement lui être soustrait. Tâches auxquelles on se voue, naturellement, quand notre désir de « grandir » s'émousse !!
Serait-ce pour cela que l'on continue à connoter négativement toute montée technologie ou cycles de nouveautés normalement engendrés et que l'on continue à les vivre comme des choses extérieures qui se développeraient à notre insu, en dehors de notre volonté et dont nous ne sommes pas responsables ?!! ...
La régression serait donc l'effet d'un apprentissage « forcé » d'une différence qui surgit sous nos yeux. D'un côté ces nouveaux outils, sorte de représentation brutale du diable et de l'autre la confrontation (insoutenable!) avec la présentation de notre état de « déchu » historiquement daté. Car cette technologie ne peut être niée, elle est issue de notre monde, nous en sommes les témoins et les auteurs qu'on le veuille ou non! . C'est « le retour du refoulé » comme dirait Sfez? Image de l'homme qui vient d'être dégradée par toutes ces innovations et qui, contrairement à ce que l'on dit habituellement, n'a pas lieu d'être adaptée mais de trouver sa conformité au vrai statut d'homme, celui qu'on enseveli soigneusement (ou refoulé, si l'on préfère) quand on se « fait du cinéma » !...
A mon avis, l'idée d'explorer ce phénomène de régression, et donc à mieux le cerner, ne peut que contribuer à arracher ma cybernétique à son image réductrice de la boite noire. Trop souvent le « feed back » est évoqué comme une réinsertion d'une partie du flux de sortie dans le flux d'entrée ... Quand il s'agit du développement de l'homme, comme tu en as traité le cas, on évite de parler de quelle partie du flux de sortie il est question : quel élément « prélevé » (comment va-t-il transformer l'amont ? en l'occurence : la vision de soi!). Je vois donc là, un moyen d'interroger cette cybernétique du développement , de la complexifier et de l'enrichir.

- Deuxième question.

    Elle sera beaucoup plus courte.

    Je suis bien d'accord sur ton hypothèse de départ ; l'évolution de l'homme est trop lente pour être perceptible. Le fait de faire référence à ses oeuvres pour en brosser quelques étapes me paraît tout à fait judicieux. Mais nous sommes bien d'accord, ce sont des « sauts qualitatifs brusques » (comme diraient les marxistes) qui nous apparaissent sous des formes de technologies nouvelles : l'énergie, la machine, l'information etc ... autrement dit une suite discontinue d'éléments qui n'ont probablement rien à voir avec ce continuum de maturation de l'homme. Je ne critique pas la construction de ton texte, loin de là, mais il me semble qu'aujourd'hui on assimile (avec quelle gratuité!) les bonds en avant de la technologie et les bonds en avant de l'humanité (en conservant cet ordre des préférences, bien entendu).
De sorte qu'un discours totalement idéologique s'instaure en affirmant que s'il n'y avait pas ces étapes technologiques, l'homme n'avancerait pas !! Pour moi c'est cette confusion du développement de l'homme à l'instar du développement discontinu de la technologie qui est toujours présent dans ce soi-disant nécessaire conflit avec la technologie et, en arrière plan, avec la science, l'innovation, la découverte. Plus on alimente ce discours plus on fustige les gens qui ne « collent » pas ou ne sont pas conformes à ces normes économiques ;:travail, flexibilité, mobilité, rendement, compétitivité etc...
Bien repérer la césure continu / discontinu pour mettre en perspective ce que l'on peut entendre par « développement humain » telle est une façon de voir positivement et autrement l'apport des technologies nouvelles. Ce texte m'a donné beaucoup de plaisir à relire. Mais la perversité de l'homme est terrible, il sait mettre à son profit (quel mot!) des ambiguïtés qui lui permettent à chaque instant de se croire sorti de la cuisse de Jupiter.

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Pierre Marchand, mai 2000 ; édition du 25 octobre 2002.