GIANFRANCO MINATI
Président de l’AIRS
Association Italienne pour la Recherche en Systémique
(traduit par Evelyne Andreewsky)
TABLE DES MATIERES
Introduction et but de l’ouvrage
I.
Systémique et "Théorie des systèmes"
II.
Des ensembles aux systèmes
III. Références
pratiques.
IV. Objectivité
?.
V. Ouverture
et fermeture
VI. Approches mono, multi,
inter et trans-discisciplinaires
VII.
Induction, déduction et abduction
VIII. Ethique et systémique
IX. Un schéma
didactique
X. Quelques applications
Annexe 1 : Sociétés de Systémique
Annexe 2 : Revues de Systémique
L'introduction à la systémique que nous propose ici Gianfranco Minati, président de la société italienne de systémique, est le premier des ouvrages didactiques que la revue "Res-Systemica" se propose de mettre à la disposition de tous, en les affichant en bonne place dans le menu de chacun des numéros.
La présente introduction mérite tout particulièrement le qualificatif de "didactique", car - outre conseils et recommandations pour accomoder la systémique dans une sauce aussi digeste qu'appétissante - elle fournit de nombreux exemples susceptibles d'être compris même par des enfants du cours préparatoire ! Mais elle n'est à l'évidence nullement réservée aux seuls débutants en science des systèmes. Tous y trouveront matière à reflexion, exemples inaccoutumés, reliances nouvelles, et mille autres tours concoctés par l'auteur pour forcer notre attention !
On y trouvera par ailleurs des mines d'informations
précieuses en ce qui concerne la vie de la systémique sur
notre planète :
- sociétés
de systémique européennes, américaines, et autres,
avec leurs coordonnées ;
- publications régulières
(revues et journaux) et bibliographie générale (ouvrages
en langue anglaise) très riche.
On peut obtenir les versions (papier) anglaise ou italienne de l'ouvrage auprès de l'auteur.
On ne peut que remercier très chaleureusement Gianfranco Minati pour le beau cadeau qu'il offre ainsi pour la naissance de la revue !
Le présent manuel propose un accès, à la fois simple et aussi riche que possible, à une approche très générale qui est en train d’émerger dans différents domaines, et dont l’efficacité devrait déterminer de véritables transformations culturelles : la systémique.
Pour ceux qui s'intéressent à la Systémique, la bibliographie en langue anglaise est riche. Mais elle est noyée dans des vues et des approches mono-disciplinaires, qui exigent du débutant une sorte de "péage d'entrée"- à savoir des connaissances de spécialiste en un grand nombre de matières : biologie, médecine, physique, chimie, ingénierie, psychologie, philosophie, management, informatique, etc ... Ceci est assez paradoxal pour une pensée transversale par rapport aux différentes disciplines, et qui a pour vocation de modifier la façon de penser et d'agir (vocation qui se veut didactique).
Le but de ce manuel est de constituer pour les étudiants et les
enseignants (ce que nous sommes souvent tour à tour, au cours de
notre vie intellectuelle) un instrument qui rende la systémique
plus explicite et donc plus facile à comprendre, afin qu’elle soit
reconnue et pratiquée dans la formation de chacun. Il s'agit à
la fois de stimuler la réflexion, et de susciter des façons
de penser et d'agir - mais certainement pas de fournir des recettes "clés
en main", prêtes à l’emploi. La vocation primordiale du manuel
est d’ordre didactique. Il s’appuie pour ce faire sur des expériences
et sur un patrimoine de connaissances développées au niveau
international, que l'on cherche à rendre accessibles à tous.
Ceci permet de mieux penser au futur (et non pas "le" futur), aux générations
suivantes, et de développer les aptitudes à agir avec un
maximum de conscience et d’efficacité
Le texte proposé comporte des "redondances", des "redéfinitions"
et des points de vue qui reformulent implicitement, à tour de rôle,
différents arguments ; dans ces conditions, une impasse sur l'une
des parties du texte ne devrait aucunement empêcher la compréhension
de l'ensemble.
Dans diverses disciplines, on cherche, de différentes manières, des schémas de raisonnement permettant de concevoir un phénomène donné comme un "tout" et d’expliquer pourquoi et comment le comportement de l’ensemble des éléments qui constituent ce phénomène est autre que celui de chacun de ces éléments, pris séparément.
Dans un certain nombre de domaines, il devient de plus en plus clair qu’analyser un phénomène donné en termes de ses composants est tout aussi inefficace sur le plan conceptuel qu’opérationnel. Le processus traditionnel d’analyse se révèle inadéquat à la fois pour comprendre et pour agir. C’est ainsi que la décomposition des organismes vivants en cellules, réflexes ou comportements, ou encore en particules de matière ou en micro-unités sociales, etc., ne parait plus adéquate pour traiter les données expérimentales.
De nouvelles théories se sont développées dans les domaines les plus divers (comme notamment la Gestalt en psychologie, la théorie de l'information, la théorie des jeux et des décisions, l'Intelligence Artificielle, etc.): Le dénominateur commun de ces théories est le fait que l'on distingue toujours, sur le plan conceptuel, le tout de l'ensemble de ses parties. La Théorie Générale des Systèmes (qui matérialise ce "dénominateur commun" sur le plan théorique) remonte à 1945, avec l'oeuvre du biologiste austro-américain Ludwig von Bertalanffy.
Depuis lors, procéder ou agir en termes de "systèmes" est devenu usuel dans de nombreuses disciplines ; mais nous nous focaliserons ici sur la valence culturelle globale de la théorie générale des systèmes, qui amène à renouveler nos façons d'observer et d'étudier.
Il faut souligner des différences fondamentales dans l’utilisation de tel ou tel terme, afin d’éviter ambiguïtés ou erreurs conceptuelles graves. Le terme "théorie" (hérité d'une tradition généralement plus soucieuse de syntaxe que de sémantique) évoque spécifiquement un contexte scientifique. Ceci est clair pour le terme "théorie des systèmes", qui est de fait la théorie du contrôle, se formulant en termes de mathématiques et de physique. Le terme "systémique" se réfère, lui, aux aspects essentiellement culturels d’une façon de penser, valables dans n’importe quelle discipline ou domaine - le contexte scientifique n'étant que l'un des contextes possibles. Nous utiliserons ici le terme systémique en étant bien conscients de ces implications.
Ne pas être systémique à l’heure actuelle est aussi
désastreux sur le plan social que scientifique, et entraîne
à la fois manque d'efficacité et gaspillage des ressources.
Continuité des concepts d'ensemble et de système :
Il n'est pas facile de définir un processus continu, dans la mesure où notre langage est ancré - d'une façon souvent implicite ou involontaire - dans des catégories bien séparées et individualisées, liées à un monde objectif où le devenir n’est conçu que comme une succession d'états (discrets).
Il ne s’agit pas de traiter de la continuité entre les notions d’ensemble et de système pour redéfinir ces notions, mais pour suggérer quelques uns de leurs aspects qui deviennent alors plus aisément repérables.
Les principaux aspects que nous signalerons ici sont les suivants :
- Le concept d’ensemble avec vs. sans structure, et la nature des éléments de ces ensembles (fig. 1) ;
- Le concept d’intérêt pour les caractéristiques propres des systèmes et non pour leurs éléments ni pour des relations qui unissent ces éléments (fig. 3).
On peut parfois déduire les caractéristiques d’un système donné à partir de ses éléments et de leurs interactions (fig. 2) - c’est ce qui caractérise les systèmes fermés (voir chap. 5).
En général, il n'y a aucune relation linéaire entre le comportement d’un système, ses éléments et leurs interactions - et ce qui rend la gestion de ces systèmes encore plus complexe, il faut aussi tenir compte des variations temporelles des contextes du système, et de celles de sa propre complexité : il s’agit alors typiquement de systèmes ouverts (chap. 5).
Notre vocabulaire s'enrichit ainsi d'expressions comme systèmes temporaires, systèmes stables, systèmes ouverts, systèmes réversibles et irréversibles.
Avec de tels concepts, on peut par exemple explorer les différences entre transformation de l’état d’un système, et création d'un système.
On peut observer que l'on attribue plus facilement un nom à un système qu’à un ensemble, dans la mesure où le système a été conçu pour une certaine utilisation.
On peut également explorer le concept de transformation,
par exemple avec le phénomène qui fait passer un ensemble
d'ingrédients au résultat gâteau (que le processus
de cuisson transforme en quelque chose de tout à fait différent
des ingrédients de départ). Autre exemple, un ensemble de
pièces métalliques qui devient une "automobile" -
dans la mesure où elle démarre. Cette mobilité est
si importante que le nom de ce système (conçu
pour être mobile) s’y réfère. On peut
ainsi mesurer les implications profondes d'une question telle que marche-t-elle
?
et explorer la différence de sens qu'il y a entre un dispositif
"arrêté" et un autre "en fonction" (comme un moteur).
Pour bien saisir l’apport culturel de la systémique, on doit distinguer ensembles et systèmes :
Un ensemble est à proprement parler une collection d'éléments, munis objectivement de caractéristiques propres, et qui n’interagissent pas entre eux. On étudie ces éléments et leurs caractéristiques communes. Par exemple les nombres constituent les éléments de l'arithmétique, avec leurs caractéristiques d'être pairs ou impairs, premiers ou non, divisibles, aditionables...
En systémique, on s’intéresse à un objet, dans la mesure où cet objet ne peut pas être considéré comme l’ensemble de ses parties, et que son comportement ("vieilles" caractéristiques objectives) ne peut pas être déduit ou dérivé de celui de ses composants. Un objet naturel non vivant peut être simplement conçu comme un ensemble, alors qu'un être vivant est un système ; les jeunes ayant le même âge constituent un ensemble, alors qu'une classe est un système ; un homme et une femme forment un ensemble, alors qu'un couple est un système (susceptible de se transformer en un système familial).
En systémique on ne considère pas tour à tour les éléments, et ensuite leurs interactions, mais au contraire on s’intéresse au produit de l’interaction des éléments, produit impossible à prendre en compte par les stratégies traditionnelles de division et de simplification.
Il faut bien faire la distinction entre les transformations d'état qui, par des processus de distribution d'énergie ou de "chaleur" conduisent à des états différents (comme par exemple la transformation de l'eau en glace), et la génération d'un système qui, outre ces transformations d'état, présente des aspects que l'on ne peut pas déduire des transformations des éléments en présence, ni des interactions entre ces éléments (distinction classique entre objet inanimé et corps vivant). Ce point sera explicité à l’aide du concept d'ouverture (chapitres 2 et 5).
Certains comportements peuvent apparaître comme contre-intuitifs, comme par exemple un système vivant "malade" peut devenir plus actif qu'un système "sain", ou lorsque un système réagit de manière opposée à ce que nous pourrions en attendre (comme par exemple dans la confrontation entre le militarisme de Sparte et la complexité d'Athènes, dans la Grèce antique).
Une stratégie privilégiant les composants se révèle toujours moins efficace. Il faut avoir recours à la " magie " d’une synthèse entre thèse et antithèse, et, par exemple dans le cadre de la pensée dialectique, quand on ne dispose pas d’antagoniste à une thèse donnée, il faut alors l’inventer.
En systémique, un certain nombre de problèmes et de catégories se sont présentés et ont été étudiés dans des disciplines comme la physique : notamment, la complexité (comportements non linéaires), la prévision, l'auto-organisation, la synergétique, la complexification (où l'aspect le plus important d'une problématique donnée est sa globalité, son holisme, et la présence simultanée d’un maximum de scénario possible), la complication (qui se réfère à la difficulté de comprendre et de gérer à l’aide des instruments pratiques et culturels dont nous disposons).
En systémique on s’attache plutôt à la "forme" d’un système donné qu’à ses composants ; plutôt à son comportement comme un "tout" non dissociable qu’aux caractéristiques de ses "composants" (d'ailleurs même pas toujours identifiables) ; c’est le cas de la mémoire, qu’on ne peut dissocier, et qui est à considérer comme un aspect du comportement d’un système. En médecine par exemple, intervenir sur un symptôme traduit une vision non systémique, mécaniste : on agit comme sur une machine, sur une pièce défectueuse, alors qu’une telle démarche ne convient souvent même pas quand il s’agit de réparer un moteur.
Un système est intéressant dans la mesure où on peut gérer à l’aide d’autres systèmes ses processus, leur contexte opératoire, où on peut étudier les conséquences de son action - même si elles paraissent lointaines - et aussi leurs conséquences implicites - même si à première vue elles apparaissent comme peu significatives. L’essentiel de la pensée systémique est en effet la mise en évidence et la création de correspondances. Les différentes disciplines sont ainsi en mesure de pouvoir commencer à se parler et à développer une lecture systémique de leur devenir, autour des correspondances entre musique, architecture, mode, cuisine, peinture, sculpture, démarche scientifique ..., dans un système social, une époque et un lieu donnés - qui, constituant un même contexte pour toutes ces disciplines, déterminent une certaine homogénéité des formes et rythmes des approches et concepts respectifs.
Tout ce qui précède indique l’intérêt de la systémique pour la recherche d'une unité.
Fig. 1 -
Un ensemble classique dont les caractéristiques sont directement liées à celles de ses éléments (par exemple, s’il s’agit de la température d'un liquide, étant donné l'homogénéité de distribution de la chaleur, on est amené à considérer que si un liquide est à une certaine température, chacune de ses parties sera à la même température, et réciproquement).
Fig. 2 -
On construit un réseau de relations entre les éléments
de l'ensemble permettant de déduire chacun de ces éléments
de ceux auxquels il est lié, ce qui contribuent d'une façon
remarquable à "expliquer" les caractéristiques (" objectives
") de l'ensemble (par exemple, la température comme indicateur du
degré d'agitation moléculaire est liée à une
construction conceptuelle des molécules qui se transmettant mécaniquement
leurs vibrations, déterminent une distribution homogène de
l'énergie).
Fig. 3 -
L'ensemble des éléments qui interagissent devient quelque
chose qui a sa propre identité, qu’on ne peut pas plus construire
seulement en termes d’éléments qu'en termes d'interactions
(par exemple la somme de deux demi-litres d'eau, l’un coloré en
bleu, l’autre en jaune, est un litre d'eau ; l'interaction de ces deux
éléments donne du vert).
Un exemple pratique fondamental remonte à un congrès organisé par la Société américaine de recherche fondée par Ludwig von Bertalanffy (ISSS, Anexe 1), dont un des thèmes était le problème de la décision tel qu’il se pose aux gouvernements en matière sociale. Ce problème est lié à ceux de l'environnement, des relations avec l'étranger, de l’emploi, de l'économie, de l'éducation, de la criminalité, de la drogue, etc. La procédure classique consiste à traiter ces problèmes "les uns après les autres" par l'intermédiaire de centres spécialisés (voir schéma de la fig. 1). Souvent ces centres sont isolés les uns des autres et peuvent tout au plus échanger des informations (voir fig. 2). Il n’est pas rare de voir un centre entrer en conflit avec un autre, si bien que l'on obtient le plus souvent des effets imprévus et surtout non désirés. Par exemple une politique extérieure orientée vers le soutien des droits de l'homme et la protection des droits civils, peut avoir des effets négatifs sur l'industrie, ou encore la sauvegarde de l'environnement peut entraîner des effets négatifs sur l’emploi. L'assistance chômage peut rendre encore plus dramatique le chômage. En bref, on n’a pas classiquement recours à une vision systémique capable de gérer la complexité (qui relèverait de la fig. 3). L'univers n'est pas scindé en disciplines et il semble de moins en moins pertinent de soutenir le contraire.
Un autre exemple très simple de l'efficacité de la pensée systémique est celui de la "lecture" par un ordinateur des nombres écrits à la main. Les approches non systémiques tentent de déterminer un algorithme pour résoudre le problème de faire reconnaître par l'ordinateur le chiffre qui lui est présenté : on mesure l'efficacité de différents algorithmes - et on déclenche en quelque sorte une compétition - par exemple entre algorithmes utilisant les mesures du périmètre du chiffre, ou ses projections sur les axes cartésiens, ou encore ses intersections avec une grille donnée .... Une approche systémique de ce problème invite à considérer chacune de ces mesures comme traduisant d’une certaine manière l’" opinion " de l'algorithme correspondant, et à regrouper ces sortes de " votes " afin d’apprendre à la machine à reconnaître un chiffre donné sur la base de ces votes : compétition et coopération. Il existe en effet des logiciels capables d'apprentissage.
La médecine se borne souvent à une conception quasi "non-systémique" de l'homme, héritée en fait de celle qui est mise en oeuvre pour réparer un mécanisme donné ; elle situe les symptômes dans un monde de cause à effet, linéaire et déterministe. Maladies et médicaments, sans contexte ni histoire, font du médecin un simple pourvoyeur de remèdes, un réparateur, dans le cadre d’une représentation de la santé comme état objectif absolu. Une médecine non systémique conduit à une inefficacité fantastique, celle des fantasmes de l’action sur les symptômes, à l’image (consciente ou non) d’un "taylorisme" de chaînes de montage appliqué à la santé.
L'Intelligence Artificielle est un réservoir d’exemples pratiques en matière d’approches systémiques - en dépit de ce terme d’intelligence artificielle, fort peu systémique, dérivant de l'idée "faustienne" de rendre l'homme "artificiel" (les "androïdes" mécaniques étant l'apogée de l'illusion en la matière). La vision systémique n'est pas un nouvel instrument, une autre méthode éventuellement plus efficace : son statut implique la centralité théorique irremplaçable de l'homme, générateur de toute existence.
La centralité théorique de l'homme est particulièrement
claire dans les domaines où le " sens " intervient, comme par exemple
en traduction "automatique", qui n’a d’automatique que ce qui ne relève
pas de la sémantique d’un individu donné, d'un observateur,
générateur non pas de relativisme, mais d'existence - de
sens, quand il s’agit du langage. L'illusion de pouvoir "décomposer",
et recomposer avec des composants (des mots, dans le cas de la "traduction
automatique") a fait croire que l'on peut parler d'une intelligence artificielle
; il est intéressant de noter les transformations actuelles des
intitulés des laboratoires de recherche sur les traitements "automatiques"
du langage, qui passent souvent, comme dans le cas d'une université
anglaise, de l'Intelligence Artificielle" à la "Cognition Humaine".
L’affirmation selon laquelle Newton a découvert la loi de la gravitation universelle est généralement acceptée par tous.
Dire que J. S. Bach a découvert une cantate paraît ridicule. Bach l'a imaginée, créée, inventée.
Dans le premier cas, l'objectivité est acceptée et considérée comme évidente, mais pas dans le second. On se trouve ainsi confrontés à deux conceptions radicalement différentes.
Dans le premier cas, on "découvre" (une "loi", terme frémissant d'objectivité ...) ; tout est déjà donné. L’observateur d’un phénomène donné est alors un perturbateur, générant au mieux un certain relativisme, mais passif par rapport à ce phénomène, et à la réalité, qui lui sont externes et qui sont indépendants. L'homme recherche le vrai, l'unique, le juste, tous donnés et donc déjà présents ; il s'agit seulement de "trouver".
Dans ce cadre, on essaye d’éviter les contradictions en se focalisant, dans un monde de cause à effet, sur la singularité, l'élément, le mono (domaines simples de la mono-race, la monolingue, la mono-religion, les industries à mono-produit, la mono-théorie ...). A un schéma de mono-espèce correspond une stratégie de compétition alors qu'à un schéma de multi-espèce correspond une stratégie de coopération, moins basique, mais plus efficace que la précédente (qui est globalement très coûteuse) (chap. 10). Dans ce dernier cas, on considère que l'homme est essentiel au processus sur le plan théorique, qu’il est activement producteur d'existence. L'homme est capable de projets; et de décisions. Le projet de la plupart des espèces est figé, quasiment prédéterminé et seulement susceptible d’être répété à l’identique (quant à l'homme, on pourrait dire que son projet d'espèce est de faire des projets ...)
Dans un tel cadre, on cherche à utiliser les contradictions : comme exemples privilégiés des processus d'apprentissage, en mettant en évidence la multiplicité, l’interaction, la globalité, le multi (multi-races, multi-langues, multi-religions, industries multi-produits, plusieurs théories simultanément actives) ; à un schéma de "multi" correspond une stratégie de coopération.
C’est ainsi que s’affrontent deux approches, l’une ancrée dans la découverte et l’autre dans la création.
En science, pour agir efficacement, l’émergence d’un point de vue lié à la question : comment convient-il de penser que quelque chose soit ? est en train de remplacer le point de vue classique : chercher à découvrir ce qui est.
La réalité est le nom que l’on donne aux stimuli (à ce qui a été élaboré, non à ce qui a été présenté) ; à l’aide d’un clavier muni des signes et de la syntaxe de la musique, on peut créer une oeuvre musicale ; avec les signes et la syntaxe des mathématiques, une théorie scientifique ; avec les signes et la syntaxe d'un langage naturel, un roman ou une poésie, mais dans tous les cas, il faut un homme devant le clavier qui crée.
L'homme est à concevoir comme un opérateur actif dans le monde, un exploiteur de filons (pas du type de ceux qui creusent une mine pour l’exploiter jusqu’à épuisement ou pour en ramener quelque chose de prédéterminé) ; c’est un créateur d'entreprises (qui creuse une mine pour utiliser le matériau extrait, en décidant au fur et à mesure de ce qu’il convient d’en faire).
Les approches objectives nous rendent prisonniers d'un monde de fonctions dans lequel un objet sert à une fonction bien définie : un stylo pour écrire, une clef pour une serrure, un verre pour boire ..ce qui est très primaire. L'homme fait en effet appel à des fonctions qui ne sont ni figées, ni stables, ni objectivement données : elles sont relatives à l'homme agissant dans un cadre donné ; dans ces conditions, une clef pourra servir à élargir un trou dans du bois, un stylo à mélanger, un verre pourra devenir une arme ...
La vision systémique permet d'inventer des utilisations,de reconnaître les correspondances entre formes, actes et processus, entre rythmes, modes et styles de langage ...
.
La production de connaissances (le terme de "production" est très fortement privilégié par les considérations précédentes) met en évidence la responsabilité de l'homme dans la répartition des ressources. Les systèmes sont crées ; ils correspondent à nos façons de penser et de faire, et peuvent être considérés comme étant la réalité (les stimuli que nous élaborons) ; on peut les évoquer, les activer, et presque dire qu’ils sont tels que nous les supposons.
Nos actions journalières produisent du sens, telles les notes d'une partition ou les mots d'un roman qui se répondent et qui sont complémentaires.
La vision systémique n'est pas un nouvel instrument, une autre méthode éventuellement plus efficace : son statut pose la centralité théorique irremplaçable de l'homme, générateur de toute existence (ce qui amène à privilégier l'abduction et l'induction, cf. chap. 7) sans le confiner à un rôle d'applicateur de "lois" (rôle lié aux approches réductionnistes et mécanistes, privilégiant la déduction).
On peut dire que la systémique (fait culturel complexe, de nature profondément non objective, intégrant l'homme dans ses approches théoriques) peut se ramener à la théorie des systèmes, dans la mesure où ses concepts fondamentaux peuvent déterminer des approches et des méthodes cognitives (locales d’un point de vue disciplinaire) scientifiquement plus efficaces (on est amené alors à ignorer la dimension abductive des modèles).
En systémique, on connaît depuis longtemps la boucle de
rétroaction double, qui se réfère à la boucle
de rétroaction des mécanismes classiques des fig. 4 et 5.
Fig. 4 -
Un schéma de boucle de rétroaction classique.
On change les variables du système,
Dans le premier cas, on " joue un jeu " et on apprend à agir sur les variables.
Dans le second cas, on projette un jeu en intervenant à la fois sur les variables et sur le processus. Dans la "double boucle", l’abduction (voir chap. 7) et le principe d’arbitraire (que l’on ne peut pas simuler sur ordinateur) jouent un rôle fondamental. Le terme d’"arbitraire" se réfère à l'homme comme au seul dispositif capable de générer de la connaissance, du style; en résumé, de l’abduction (chap. 7 ).
Pour nos ancêtres, un orage pouvait être considéré comme une manifestation de la colère d'un dieu (on ne peut avoir aucun effet sur le processus) ; aujourd'hui, on considère le même fait (avec une grande efficacité pour agir sur le processus) comme un phénomène physique de nature électrique. Il se peut que dans le futur, on considérera le même phénomène comme de nature différente (il faudra alors penser autrement pour être efficace) : la stratégie n'est pas de déterminer le "vrai" modèle, mais d'utiliser à chaque fois le plus efficace.
Il va sans dire que la systémique ne constitue que l'une des
approches possibles, une façon de penser, qui peut être dépassée
par une autre, plus efficace (quoi de plus exaltant pour un éducateur
que de voir ses élèves faire mieux que lui ? C' est le succès
de son activité de tuteur. Vouloir des disciples toujours inférieurs
au maître est une stratégie mesquine et intellectuellement
malhonnête).
Introduisons les concepts bien connus d'ouverture et de fermeture. Rappelons qu'un système est ouvert quand il est perméable à la matière ou à l'énergie; ce qui est particulièrement le cas des systèmes vivants, qui ne peuvent rester vivants sans être ouverts. Mais une telle définition de l'ouverture, assez primaire, permet difficilement d’aborder un certain nombre de problèmes, même très simples.
Elle se base sur les principes de la thermodynamique, et amène à distinguer les systèmes fermés qui ont un état d'équilibre chimique et thermodynamique donné, indépendant du temps; alors que les systèmes ouverts ont des états stationnaires où ils restent identiques à eux-mêmes, en dépit des changements continus de leurs composants. Dans les systèmes ouverts, des conditions initiales différentes peuvent amener un système à atteindre tel état donné par des voies différentes.
Le concept de système ouvert permet d’aborder les problèmes classiques où, selon le principe de la thermodynamique, les processus physiques évoluent vers des états où le désordre moléculaire est maximum (deuxième principe) ; contrairement à ce principe, les organisme vivants se conservent dans des états fortement improbables et conservent leur ordre interne. Ceci s’explique dans la mesure où le principe de la thermodynamique ne s’applique implicitement qu’aux systèmes fermés.
Ces approches très objectives sont des exemples de démarches liées à la théorie des systèmes, mais pas encore à la systémique - démarches dont les différences ont été mentionnées plus haut.
On considère qu'une caractéristique objective d'un système est d'être ouvert ou fermé, sans s’occuper des processus d'ouverture ou de fermeture, et encore moins de la possibilité pour certaines parties du système d’être ouvertes ou fermées, en fonction du temps.
Une "hiérarchie" des systèmes ouverts, fonction de leur dynamique (cf. exemples dans le domaine de la communication), a été proposée :
- ouverture factuelle : c'est la situation classique en thermodynamique où matière et énergie sont à même de traverser une limite (le système peut envoyer et recevoir des signaux mais il n'est ni capable de leur attribuer un sens ni d’élaborer ce sens : c’est le cas de deux ordinateurs qui échangent physiquement des " messages ").
- ouverture active : dans ce cas, on suppose que le sens des messages est identique pour l'émetteur et le receveur, et invariant (Ex: le langage formel de certains systèmes d’ordinateurs)
- ouverture flexible : le système génère un modèle de l'autre et la communication se fait entre ces deux modèles (Ex : deux systèmes qui échangent un message, en présupposant que ce message a une signification donnée - celle qui a été déterminée par l'émetteur, en tenant compte de son modèle du récepteur - modèle considéré comme stable, linéaire, prévisible, compréhensible).
- ouverture créative : dans ce cas les systèmes échangent non seulement un message donné mais encore le contexte de ce message (en quelque sorte, une de ses extensions) qui participe à sa signification ; le système récepteur peut générer ce contexte par induction (ici intervient la dynamique - un exemple typique est celui d’une négociation entre deux personnes).
- ouverture réflexive : dans ce cas le système peut utiliser les niveaux d’ouverture précédents, et décider comment agir, en devenant système ouvert ou fermé selon les niveaux . la possibilité d’une telle décision, aux niveaux adéquats, peut être vue comme traduisant un maximum d'ouverture (les langages peuvent parler de langage, on peut avoir des théories de théories ).
Il est intéressant de remarquer qu'un système fermé est classiquement un système non vivant.
D'autre part, le fait qu'un système soit ouvert, est une condition nécessaire mais pas suffisante pour qu'il soit vivant : la flamme d'une bougie naît, meurt, se reproduit, "mange", "expulse", mais n'est pas vivante. Le système dans ce cas-là, est toujours ouvert.
La capacité de générer une dialectique entre ouverture et fermeture semble être la base même de la vie.
Pour un système vivant, l'acte le conduisant à son niveau maximum d'ouverture pourrait être la contemplation, la méditation ,"l'extase", alors que l’acte négatif est le suicide, fermeture complète. Ceci correspond bien au fait qu'un ordinateur peut conceptuellement décider, à l’aide d’un logiciel, sa propre fermeture, mais évidemment pas sa mise sous tension - pas plus qu’un système ne peut décider de naître.
Il convient de noter la nécessité de la fermeture pour pouvoir parler d'ouverture.
Dans le domaine de l'enseignement on peut donner les exemples suivants :
- ouverture de fait : l'enseignant envoie des messages aux étudiants, en utilisant le langage naturel et vice-versa (on demande de ne pas "dormir", de rester thermodynamiquement ouverts, il y a des "échanges de paroles").
- ouverture active : on admet (soit l'enseignant, soit l'étudiant) que le sens des messages est le même pour tous. L'enseignant opère comme au niveau précédent, avec le projet d'influencer les récepteurs; pour qu’ils reproduisent son mode d’action (on demande par exemple aux étudiants de demeurer "attentifs", pour donner un sens aux messages reçus, en postulant que ce sens est stable, et identique pour l’enseignant et les étudiants).
- ouverture flexible : l'enseignant développe un modèle des étudiants et vice versa. L'enseignant essaye d’appliquer son modèle, en considérant que les messages auront ainsi le même sens pour lui et pour les étudiants. Quand on a ainsi conscience d’utiliser son modèle de l'autre, on est amené à développer ce modèle, à en avoir soin ...
- ouverture créative : l'enseignant invente l’utilisation de diverses fonctions, en proposant modèles et jeux pour échanger et induire le sens. On agit aussi sur le contexte en utilisant des redondances, en créant des interactions internes aux systèmes récepteurs attentifs au sens induit par le contexte.
- ouverture réflexive : l'enseignant détermine
des démarches éducatives et applique ces démarches.
Il agit sur le contexte considéré dans sa complexité
; les messages émis sont des modificateurs, même (à
titre d’entrées) pour le système d'origine. Les modèles
de l’autre se réitèrent sans limite, en interaction constante.
Fig. 6
Schéma de comparaison entre systèmes fermés et
ouverts
Dans le cadre du concept d'ouverture (logique plutôt que physique), on peut comparer systèmes ouverts et fermés (fig. 6) (dans ce tableau, ne sont naturellement indiqués que les pôles du continuum qui va de la fermeture à l'ouverture logique).
Un tel cadre permet une lecture intéressante de certains phénomènes sociaux, considérés comme des micro-systèmes conçus et réalisés avant tout pour celui qui agit à l'intérieur (fermeture) plutôt que pour celui qui doit en bénéficier (ouverture) : les hôpitaux pour les médecins, plus que pour les patients, les écoles pour les enseignants, plus que pour les étudiants, les organismes (comme les banques) pour les employés, plus que pour les clients ...
Une question cruciale de la hiérarchie des ouvertures est la nécessité des systèmes vivants, et en particulier de l'homme, pour générer les niveaux les plus élevés de cette hiérarchie, qui nécessitent des arbitrages (chap. 4, 6 et 7). Ce qui aide à cadrer le problème de la fermeture, qui n’est thermodynamique qu’initialement (en considérant le premier niveau, factuel) puis en considérant ce qui est statique, l’incapacité de changer les règles, etc., on est amené à envisager une fermeture logique.
Autre exemple : celui de l'"ouverture" en musique ; elle souligne le rôle de l'exécutant, qui traduit, transforme, génère du sens et de l'existence. Sans oublier le rôle de l’auditeur, pour générer signification et existence, ce qui est encore plus évident quand il s’agit d’un enregistrement.
Il faut enfin remarquer que le mot "systématiser" est souvent
utilisé dans le sens de fermer, compléter, finir. Le rôle
de l'enseignant consiste non pas à administrer plus ou moins implicitement
de la "connaissance" (système fermé), mais à induire,
à activer (système ouvert) en agissant sur les processus
sans a priori.
La production de connaissances par les systèmes sociaux s'effectue suivant des modalités qui se conjuguent bien avec la conception du monde et de l'homme qui est celle de ces systèmes. La production artistique matérialise cette correspondance, avec une sorte d’homogénéité presque évidente, qui doit être reconnue et dont les conséquences sont à prendre en considération, pour décider de notre activité, sans nous limiter au comportement passif usuel.
Indiquons les quatre phases fondamentales de production (et non pas de "sécrétion" comme dans le cadre suggestif de l’objectivité organiste) des systèmes sociaux :
- Mono-disciplinarité, où la connaissance est objectivement fragmentée - soit du fait de la capacité limitée de chacun pour l’acquisition et le développement des connaissances, soit parce qu'il s'agit d'une stratégie cognitive susceptible de jouer efficacement de la séparation, de la division et de la spécialisation. Cette approche convient particulièrement aux solitaires. Elle ne suppose aucun "tissu connectif", aucun orchestre, seuls des instruments qui jouent séparément - et c’est la capacité et la compétence à jouer d’un instrument donné, à se focaliser sur un élément spécifique particulier, qui est seule approfondie.
- Multi-disciplinarité, où les différentes compétences, les disciplines, sont mises côte à côte, gérées sur un seul registre, en fonction des finalités propres à ce registre. Par exemple, un manager devant traiter un problème de télécommunication va gérer les différents savoir-faire d'experts en télécommunication, en installation, en problèmes légaux, en économie, en physique. Ces compétences restent confinées dans leur propre logique, dans leur domaine, mais elles sont dotées d’une nouvelle efficacité par la logique de l’entreprise : le fait d'agir ensemble ou du moins côte à côte.
- Inter-disciplinarité, où les disciplines peuvent dialoguer entre elles, les problèmes et les solutions de l'une devenant aussi ceux de l'autre ; on cherche à cerner les invariants, à les traduire, à observer les façons de penser et de faire. La propension innée de certaines disciplines à coloniser disparaît, non pas pour faire place à une convivialité passive, pas vraiment bien intentionnée ni convaincue, mais en vertu d’une conviction théorique profonde, à savoir la nécessité de la diversité et de la plurivalence. On découvre alors l'harmonie générée par l’orchestre, qui implique à l’évidence cette diversité.
- Trans-disciplinarité, où l'homme, être capable de projets, générateur d'abduction et d'arbitrage, synthétise les pièces qu'il a construite, en leur donnant sens et harmonie, dans une vision globale.
L'"anxiété cognitive" est mise de côté comme stratégie, de même que la connaissance et son statut spécialisé.
L'"illusion déterministe" de nature faustienne n’est pas plus valide que la considération de la nature comme une donnée objective (problèmes du chaos, de l’imprévisibilité, de la non-linéarité en physique).
Il faut agir sur les dispositifs de production de connaissances des époques précédentes, qui étaient dépourvus d’orientation interdisciplinaire. Il ne s’agit pas seulement des laboratoires des centres de recherche, ou de ceux des entreprises, mais aussi de ce que l'on fait et de ce que l'on pense au quotidien, notamment dans les écoles, où se forgent les concepts des générations futures.
Pour illustrer les considérations précédentes, prenons l’utilisation du "temps" pour évaluer l'équilibre d’une configuration donnée d'un ordinateur, à l’aide d’un certain nombre de paramètres comme les temps d'élaboration, les temps d’accès des canaux d’entrée/sortie, les temps de gestion des ressources propres, les temps d'attente d'une transaction donnée ... en fonction de l'harmonie de l’ensemble. Une évaluation analogue peut d’ailleurs être faite de n'importe quel système, dans la mesure où l’on fournit les paramètres correspondants aux différents aspects de ce système.
Dans l’exemple précédent, on peut être amené à modifier la position ou la signification d'un paramètre autre que celui que l’on pensait modifier, dans la mesure où on s'intéresse à l’ensemble du système plutôt qu'à ses éléments. D'autre part, pour modifier l’état d’un paramètre donné, la stratégie consistant à agir directement sur ce paramètre, d'une façon séparée et isolée, n’est pas la seule ; on peut aussi pour ce faire, agir sur d’autres paramètres, et même sur le système entier.
Il est intéressant de remarquer que l'on peut vivre en dépit des "pathologies", de la "non-normalité", et qu'il n'existe pas d’état absolu d'harmonie (ou de bien-être, cf. les phénomènes de compensation, en médecine).
Il convient alors d'agir sur l’"équilibre" sans attendre que l'amélioration (dans le sens désiré) d'un ou de plusieurs éléments du système conduise nécessairement à l'amélioration (dans le sens désiré) de tout le système. Ce qui veut dire qu’on peut augmenter ou diminuer certaines parties d’un système donné, en visant l’harmonie de ce système, plutôt qu’un de ses états particuliers. Pour revenir à l'harmonie, on peut réduire la valeur d'une ou de plusieurs variables, plutôt qu'augmenter celle de la variable qui induit le déséquilibre, et vice-versa.
On doit d'autant plus tenir compte des problèmes d’équilibre que certains systèmes présentent des états particuliers de bifurcation, où pour certaines valeurs des paramètres, ces systèmes se métamorphosent (ex : la transformation de l'eau en glace). Changer les valeurs des paramètres à la recherche de l'harmonie implique, notamment à proximité de ces états de bifurcation, de considérer l'ensemble du système et non ses éléments (ex : la recherche de l'harmonie pour une personne obèse ou qui boîte, peut conduire à des compensations de comportement catastrophiques, si on les applique linéairement, quelle que soit la situation ; l'utilisation d'une canne, par exemple, entraîne un déséquilibre musculaire si l’équilibre implique que le côté le moins utilisé soit aussi capable de fonctionner que l'autre - problème typique de la physiothérapie et inhérent à la rééducation).
Mêmes remarques quand on s'appuie sur le mythe de la vitesse et de la puissance d'un ordinateur, avec des arguments commerciaux, sans mentionner des problèmes (souvent voulus) qui, résolus, augmenteraient la vitesse globale de cet ordinateur, avec des composants de coûts très inférieurs.
Ceci invite à favoriser la dynamique de la dialectique, et si on constate l'absence d'un antagoniste, à inventer - ou à activer - un antagoniste adéquat.
Dans les domaines sociaux, les remarques précédentes sont
bien connues de ceux qui étudient les conséquences de l'automatisation
ou de l'application des lois sur l’emploi ou sur la criminalité,
(ex : la répression de la contrebande).
Il est très utile de souligner les trois processus de pensée qui sont considérés comme cruciaux en philosophie, dans la genèse de notre savoir et surtout, pour une espèce telle que la nôtre, dans notre capacité à faire des projets (futur).
D'une façon schématique, ces trois processus cognitifs sont l'induction, la déduction et l'abduction.
x Þ y (x donne y) en appliquant cette règle, étant donné x, on obtient y.
- Induction d'une règle à partir d’une configuration d’éléments :
puisque souvent après les x il y a les y, alors la règle x Þ y (x donne y)
pourrait être valable.
- Abduction d'une configuration d'éléments, à partir du comportement de ces éléments, regroupés "arbitrairement", dans le but d’initialiser une induction de règles. L'abduction s’appuie sur des probabilités, et les processus logiques qui en dérivent conservent cet aspect probabiliste. L'abduction met en oeuvre une procédure de regroupement de variables probablement corrélées (ou mieux, dont il semble intéressant de postuler la corrélation), pour essayer d’induire une production de règles.
on peut estimer que leurs mouvements sont corrélés (abduction) (on peut aussi choisir arbitrairement de considérer d'autres variables comme corrélées à ce mouvement (la couleur de mes yeux, la température de mon idole, mon humeur ...) ) ; je peux initier un processus de pensée en considérant ces mouvements comme probablement corrélés.
On peut essayer de construire une règle qui décrive le mouvement des planètes (induction) : historiquement, différentes conceptions (comme le géocentrisme ou l'héliocentrisme) ont conduit à induire des règles différentes.
A partir d’une règle qui décrit le mouvement des planètes, et de la position de certaines planètes, je peux déduire la position d'une planète donnée (déduction) .
Les règles induites ont été baptisées "lois", et s’appliquant à la réalité objective ; on a appelé ces inductions "découvertes".
On peut ainsi penser l'activité de l'homme en termes de générations abductives arbitraires, ou alors en termes de déductions, portant sur des fragments de réalité "découverts" et mis sous forme de lois.
Il est intéressant d'observer la coexistence de ces deux démarches que l'on peut activer à son gré, dans la mesure où elles sont plus ou moins en accord avec le style de l'individu générant connaissances, savoir et art.
Dans un établissement important, le "test" final pour décider de la cooptation d'un manager de haut niveau, consistait à mettre le candidat dans une situation inattendue où l’on évaluait sa capacité à utiliser (d'une façon abductive ) le contexte plutôt que de se limiter à des fonctions préétablies ; (on lui demandait par exemple d'écrire et de présenter son travail avec un gros paquet de feuilles de dimensions inadéquates par rapport au format du classeur).
Pour souligner à la fois la centralité du processus d'abduction dans le dispositif logique d'induction-déduction, et l'unité de l'acte créatif, dans le domaine des sciences comme dans celui des arts, on peut proposer le label arts cognitifs, qui mérite certainement réflexion.
Comme nous le verrons dans les chap. 8 et 10, il convient d’accorder une grande attention à l’hypothèse déjà ancienne que "le langage génère la pensée, plus que le contraire". Ce ne sont pas les mots mais le langage qui détermine couleur et peinture du peintre, afin que celui-ci puisse peindre ce qu'il veut, c’est à dire surtout ce que le langage lui suggère de vouloir. Il en va de même des instruments de musique, des théories scientifiques et de leurs formalismes, des romans, et du langage naturel.
Dans ce chapitre sur les modalités de la production des connaissances, de la pensée, des projets, il faut souligner un changement conceptuel particulièrement important :
On est passé du problème classique :
F(x) = y ; connaissant F et x, calculer y
au schéma :
F(x) = y ; connaissant x et y, caractériser F
On remarquera que dans le second cas, il ne s'agit pas de calculer F avec une quelconque procédure computationnelle, symbolique, procédant de l'analyse numérique . Il s'agit au contraire de caractériser F non pas sur la base d'un calcul, mais sur celle d’un apprentissage fondé sur le comportement de multiples exemples de couples (x, y) dans des contextes donnés. A notre époque, où nous disposons d’ordinateurs, on peut penser qu’un logiciel approprié est susceptible de caractériser les F.
Plutôt que de s’efforcer de démontrer que la solution d’un
problème difficile existe et est unique, il convient ainsi de trouver
une
solution et de l'utiliser.
On a proposé de mesurer l'éthique des systèmes sociaux à l’aide d’outils utilisés par les audits comptables (cf. EQM - Ethical Quality Measurement), notamment pour des systèmes comme la banque, l’entreprise, et même l’enseignement.
Il ne s’agit pas de réduire l'éthique à un ensemble de règles et encore moins de prétendre délivrer reconnaissance ou blâme, dans le cadre d’assertions moralistes.
Mettre en oeuvre une "éthique" consiste à adopter une stratégie (sans se réduire à cette stratégie) dont les raisons d’être, indépendantes des finalités immédiates du système et de la cohérence de cette stratégie par rapport à ce système, peuvent être de différentes natures (idéales, religieuses, utilitaristes ... ).
Le mariage entre systémique et éthique amène à réfléchir sur les applications de cette dernière, sur le rapport dialectique de ses principes avec l’action. Agissant sur des systèmes plutôt que sur des éléments ou des ensembles d'éléments, on doit savoir que l'éthique ne peut pas être appliquée immédiatement, naïvement ou linéairement : elle est à la base d'idées, de choix et de remises en cause stratégiques qui constituent son ancrage dans les systèmes sociaux.
Il convient de noter les différences entre les concepts de stratégie, d'objectif et de style. Prenons par exemple la lutte entre espèces (entre prédateurs et proies). Une espèce donnée peut avoir comme stratégie la fuite et le mimétisme, avec pour objectif d'éviter les prédateurs, et pour style une grande rapidité d'action ou d'improvisation. Quant aux prédateurs, ils peuvent avoir pour stratégie de chasser en troupeaux, de façon à pousser la proie dans un piège, pour objectif la capture de cette proie, et pour style le silence et la légèreté des mouvements.
La compétition qui semble constituer un objectif, se révèle souvent plutôt une stratégie. Deux équipes de football sont en compétition apparente par rapport à leurs objectifs (marquer des buts), mais en réalité, cette compétition porte essentiellement sur les stratégies de jeu et sur le style avec lequel on joue.
Ainsi, les raisons pour lesquelles on adopte une stratégie particulière sont en rapport dialectique avec les objectifs : elles peuvent induire le choix d'une stratégie, mais la réciproque est également possible.
Agir d'une façon éthique, ne signifie pas agir seulement stratégiquement, mais agir en étant conscient des valeurs qui ont amené à adopter telle stratégie, en ayant explicité ces valeurs.
Agir pour essayer d’obtenir toujours le maximum dans chaque circonstance est une stratégie liée à une éthique fondée sur l'individualisme et l'égocentrisme. La portée limitée et le peu d’efficacité sociale des actions qui en résultent ne dérivent pas de la stratégie adoptée, mais du peu de poids de l’éthique qui l'a générée.
La non-globalité d'une éthique, et son manque de contenu systémique vont souvent de pair avec son influence négative sur le système social tout entier (dans le temps comme dans l’espace, avec l’incapacité de concevoir un futur pour les jeunes générations ou d'éviter les déséquilibres géographiques et environnementaux).
1. Un système social a toujours sa propre éthique ; il faut la mettre en évidence car elle est souvent implicite.
2. L'éthique concerne seulement les systèmes sociaux.
3. L'éthique peut être vue comme un processus (il y a plusieurs éthiques possibles et nous sommes responsables de celle que nous appliquons, même si elle est implicite).
4. L'éthique vient avant les règles, les lois.
5. L'éthique est une construction mentale.
Si l’on privilégie les rapports entre éthique et stratégie, il faut remarquer que pour être éthique il faut avoir une stratégie, mais le fait d'avoir une stratégie, n'équivaut pas forcément à avoir une éthique : on peut mettre en oeuvre une stratégie non pour suivre des idéaux et des principes, mais par utilitarisme, sans en envisager les conséquences.
Une métaphore intéressante consiste à considérer les systèmes sociaux comme des systèmes computationels, pourvus d'un logiciel social fondé sur des intérêts très divers (intérêts individuels, intérêts sociaux de groupes militaires ou religieux), mais dont la forme reste identique. L’implémentation de ce logiciel s’appuie sur des textes, des images, des comportements, des us et coutumes, le théâtre, les spectacles, les cérémonie, le langage ... L’implémentateur typique était jadis le "prêtre" (ce n’est pas négatif) ; il est aujourd'hui éclaté en de multiples rôles et professions différentes. On peut considérer que ce logiciel a une origine sociale (en invoquant à nouveau par exemple les processus d'auto-organisation où le système social ne détermine pas toujours consciemment son logiciel) ou bien divine. Mais quel que soit le cas, sa forme reste la même.
Dans ces conditions, on peut dire qu'on peut décider - ou accueillir (mais quelle différence ?) une éthique, comme on peut suivre une stratégie de recherche du "vrai" (le "vrai" objectif, comme le veut le langage naturel avec ses concepts de base) ou alors "construire" la réalité. Dans le premier cas, on décide de poser que la réalité existe, qu’elle est extérieure et pourvue d’une logique (à découvrir) ; dans le second cas, on pose que c'est l'observateur qui génère l'existence. Combiner de tels points de vue opposés, mais simultanément envisageables, est à la base de la pensée dialectique, partie intégrante de la pensée systémique. C’est ce qui nous amène à proposer la phrase-logicielle suivante, pour activer la réflexion sur la conciliation des deux points de vue : le devenir s'est fait pensée et vice-versa.
Dans cette optique, on peut proposer de nouvelles "phrases-logicielles", par exemple autour d’une affirmation comme : Dieu n'a pas besoin d'exister, qui implique que le problème de l'existence, local, ne vaut pas la peine de trop s’attarder (la "présence" allant bien au delà du concept d'existence logique).
La force du devenir, sa capacité d’induire la sagesse chez l’homme, invite à favoriser la stratégie du comprendre, celle de la connaissance. Une leçon de l'International Systems Institute (cf. Annexe 1) est qu’il faut toujours prévoir une chaise vide durant les séminaires, les cours ou les tables rondes, afin de rappeler la présence silencieuse des générations futures.
Une image suggestive, et peut-être même un peu poétique,
est l'hypothèse que si l'homme a inventé les instruments
de musique, c’est qu’il avait quelque chose à dire que le langage
dont il disposait ne lui permettait pas d'exprimer. Il a eu aussi besoin
de faire dire (c'est à dire de "donner une voix aux choses").
Il a également besoin d'être à son tour instrument
et de jouer les grandes partitions sociales qui font l'histoire, qui intègrent
nécessairement
notre action dans l’harmonie de l'orchestre. Notre micro-comportement
fait partie de ces partitions ; il représente une partition que
nous écrivons au fur et à mesure, ou bien qui a déjà
été écrite, ou les deux à la fois - ou qui
sait quoi encore ?
Un schéma didactique pour un enseignement de la systémique, capable d’activer la pensée, et le faire, systémique doit se structurer de la manière suivante :
1. Proposer une liste d’ensembles et de systèmes, en
donnant leurs caractéristiques respectives, et en montrant comment
un ensemble peut devenir un système et vice -versa.
2. Réalisation et utilisation d’un dispositif simple pour mélanger de l'eau colorée contenue dans trois récipients (correspondants aux trois couleurs fondamentales : bleu, jaune et rouge) avec toutes les combinaisons possibles (voir fig. 7).
Les connexions pourront être réalisées avec des tubes en plastique transparent et en utilisant des robinets situés à toutes les intersections possibles entre les tubes. On indiquera B-bleu, J-jaune, R-rouge) pour les trois bouteilles, toutes les intersections possibles entre les tubes seront au nombre de sept: B, B-J, J, J-R, B-J-R, R, R-B.
Un dispositif pour mélanger de l'eau colorée peut être réalisé de façon artisanale en utilisant un support en bois où enfiler des bouteilles de plastique transparent (dont on aura coupé le fond) ainsi que des robinets et des tuyaux en plastique transparent.
Il faut des dérivateurs à appliquer aux tubes pour réaliser le dispositif de la fig. 7.
Les étudiants peuvent modifier la position des robinets de différentes façons pour observer l'interaction des eaux colorées au moment même où elle se produit dans les tubes transparents.
On peut alors faire émerger la différence entre additionner et composer, en observant deux opérations : la première se borne à transformer deux demi-litres d'eau en un litre, la seconde fait apparaître une couleur nouvelle par la composition de deux autres couleurs (ou davantage).
On peut faire une expérience analogue, à l'aide d'un logiciel graphique, avec des rondelles de différentes couleurs tournant sur l'écran couleur d'un ordinateur. Il faut toutefois signaler que dans le dispositif "à eau", les transformations sont stables, "matérielles" et irréversibles.
Dans les dispositifs optiques, comme les disques rotatifs sur l'écran d'un ordinateur, on peut être déçu ou contrarié à cause de la réversibilité du phénomène (quand le disque s'arrête de tourner, la couleur générée par le mouvement disparaît ). Cette réversibilité équivaudrait à ce que le liquide coloré retrouve sa couleur d’origine, celle des bouteilles dont il est issu, en raison par exemple de la non- "matérialité" de la couleur produite, comme pour le cas du dispositif optique.
Ceci n’implique pas de supprimer les exemples optiques, mais souligne simplement des difficultés éventuelles ; ces exemples sont plus appropriés pour des adolescents que pour des enfants, et constituent d’ailleurs une excellente occasion pour introduire l’irréversibilité du temps, et celle du processus.
3. Réalisation de "poussière d’eau" à l’aide d’une espèce d'aspirateur utilisé à l’envers, avec son tube étroit contre la surface de l'eau d'une cuvette.
L'expérimentation met en évidence que la "poussière" ne peut être "maintenue" qu’en gardant l'aspirateur ouvert, alors qu'on est au contraire habitués à voir la poussière, une fois en tas, rester stable et statique.
On introduit ainsi le fait qu’en général un système a besoin de consommer de l'énergie pour éviter de devenir un ensemble (c’est le cas notamment d’un système tel qu’un corps vivant par rapport à l’ensemble qu’il devient quand il meurt).
4. Emergence de l’harmonie comme fait systémique.
Un logiciel permet de repérer dans une partition musicale un seul instrument à la fois, alors que tous les instruments jouent ensemble. Les notes n'ont aucune signification en elles-mêmes mais dépendent de la séquence qui les précède et de celle qui les suit, autrement dit, du contexte - comme les mots dans un roman. Les notes se donnent un sens de manière réciproque.
La différence entre un "beau son" et la musique est que le premier est généralement constant, répétitif, lié univoquement à un fait donné, alors que la musique est créée par l'homme (comme les instruments qui la génèrent physiquement) ; il s’agit d’une construction sociale, d’une invention de l’homme. Elle est liée à d'autres aspects de l'activité humaine, à un système social défini dans le temps et dans l'espace, ce qui implique une certaine continuité entre musique, religion, conceptions scientifiques, peinture, architecture, poésie ...
"Donner une voix aux choses", ce n’est pas se contenter de leur bruit, mais c’est l’organiser pour lui donner une signification - c’est la raison de l’invention des instruments de musique ...
De nos jours, l’"expert" hi-fi entend d'avantage les bruits que la musique (son attention porte sur la syntaxe) à la manière de celui pour lequel les aspects techniques d'une photo importent plus que sa signification.
On peut donner à apprécier la créativité de l'"imprécision", en liant par exemple un nombre donné au son d'un instrument unique, sans résonances (sans "composition" de sons dans la caisse harmonique, une note à la fois sans aucune interaction : problème présent dans les instruments électroniques), alors que pour évoquer images et sens, un grand nombre d’instruments jouant la même musique amènent à générer un même sens.
Le concept d'harmonie comme mesure et expression unifiante se manifeste par exemple dans le fait que depuis toujours, chanter en groupe signifie union, finalités communes (ex : les rites religieux) ; la cohérence d'une équipe se met en évidence par la façon dont ses membres chantent ensemble.
5. La transformation de l'eau en glace est une bonne expérience pour démontrer comment, dans certains systèmes, il est suffisant de fournir une petite "information" (une baisse de la température n’est pas en effet une grande information) pour déterminer des transformations profondes du système. On peut aussi s'appuyer sur l’exemple de la puissance des interactions "faibles", comme la gravité (ou le magnétisme terrestre), par rapport à la vie et son contexte.
6. La genèse d'une histoire, avec un livre à pages mobiles, qui, pour une séquence de pages donnée, engendre telle histoire.
On peut expérimenter l'introduction, la création d'une logique, d'un ordre des pages. Une procédure analogue consiste à réaliser une maquette de train électrique, avec des pièces telles qu’on puisse procéder à plusieurs recompositions différentes.
C’est exactement ce qui se passe pour le langage : à l’exemple des pages mobiles correspond des phrases interchangeables. On constate que c'est plutôt le texte qui génère la grammaire que le contraire.
7. On introduit une discussion sur la différence entre savoir jouer et concevoir un jeu, en référence aux concepts d'ouverture logique en systémique.
8. On fait une enquête pour rechercher l'auteur d'une action donnée (activité d'investigation) ou bien pour mener une exploration visant à reproduire quelque "loi physique" très simple, produite à l’aide d’agents et de variables "étranges " : si F = m.a on prouve que F = m+ a, ou que F = m + at ...
9. On propose des "jeux" simples, visant à faire émerger comment les concepts d'ouverture logique agissent dans les interactions entre personnes.
Par exemple si deux groupes se proposent de communiquer en échangeant une sémantique probablement équivalente, on peut amorcer le "jeu" suivant : le premier groupe choisit un mot et le traduit dans ce qu'il suppose être le langage du deuxième groupe. On demande à ce deuxième groupe des synonymes ou des contraires de ce mot. Ces nouveaux mots sont traduits comme précédemment, et sont pourvus de synonymes ou de contraires ; la distance entre les synonymes et contraires successifs est une mesure des différences entre significations du mot initial pour les deux groupes.
10. Utilisation d’un logiciel de simulation de la dynamique des systèmes pour mettre en évidence les conséquences du choix des variables, des interactions, et des paramètres (ex : modèle proie-prédateur).
L'activité d'éducation systémique n’est que marginalement un fait cognitif ; elle cherche à mettre les générations futures en mesure de concevoir leur futur. Le dessin de Cecco Mariniello (fig. 8) se propose de représenter cette stratégie.
Une approche didactique de la systémique peut inviter à
réfléchir sur la " magie" du démarrage d’un PC., où
matériel et logiciel deviennent à chaque fois que l’on branche
ce PC, quelque chose de différent, à savoir le système
avec lequel on interagit.
fig. 8 -
Enseignant qui ouvre les ailes des enfants et les fait voler pour
leur enseigner la liberté, mais pas une liberté gratuite
ou indifférente, ni pire encore, le rejet des règles qui
permettent de penser et de faire.
Un domaine fortement systémique est celui du langage naturel, qui reflète à l’évidence une multitude d'aspects du système social qui l’a conçu (et imaginer un langage signifie imaginer une forme de vie) en interaction continue, générant signification et actions transformatrices. Dans ce domaine, on n'a pas seulement des relations entre éléments mais aussi des relations entre relations et ainsi de suite, dans un tissu fortement dynamique, sensible au contexte, généré par l'usage plutôt que par des règles. On peut toucher du doigt la puissance créatrice du langage, non pas au niveau du mot, (qui n'est pas le constituant élémentaire du langage, c’est la phrase qui l'est) mais à celui des phrases, directement, continuellement et bi-univoquement lié au devenir du système social.
Pouvoir "dire" un processus, pouvoir le décrire, posséder les instruments pour le représenter, cela signifie qu’on peut le concevoir, qu’on peut le faire et vice versa, dialectiquement.
Il est intéressant de voir comment dans la langue italienne l'expression "moi et toi" ("io e te") est entrée dans le langage courant. Cette expression, outre le fait d'être incorrecte (la deuxième personne du singulier sujet se dit "tu" et non "te"), véhicule, induit, et fait accepter une conception égoïste selon laquelle "moi" viens avant l'autre, à l’inverse de "toi et moi". Ceci n’existe pas dans des langues comme l’anglais ou le français, où aucune chanson même très médiocre, ne contient un "I and you" ou un " moi et toi " au lieu d'un "you and me" ou d'un " toi et moi ". Cet exemple présente une façon de construire et de diffuser un "logiciel social", où les sens sont pré-construits dans les structures.
Les expérimentations psychologiques ont mis en évidence la présence de structures, même en l’absence de symboles (le fait qu'un berger appartenant à une population primitive n'indique les nombres que par "un, deux, beaucoup", ne signifie pas qu'il soit incapable de constater l’absence d’une brebis dans son troupeau). On ne se réfère donc pas à la disponibilité d'un mot, mais au langage dans sa complexité, fait de mots, de sensations, d'idées, de formes, de couleurs, de rêve ..
Langage et pensée se créent dialectiquement, continuellement.
Un autre exemple où la systémique peut nous aider à
comprendre les phénomènes complexes, relève du domaine
de l’économie.
On est passé d'une phase appelée :
ou
- Société industrielle, orientée vers les objets utilitaires, où la " force " est la ressource prédominante. Le problème de la production de biens est alors central. Quantité et objectivité procèdent de la nécessité des manipulations physiques.
Cognitivement, on agit sur un monde ne comportant que peu de variables, n’interagissant en général pas entre elles, et où la linéarité prédomine.
Cognitivement, on agit sur un monde comportant beaucoup de variables en interaction, où règne la non - linéarité et la complexité.
Une telle transformation est fondamentalement ancrée dans la connaissance - et l'homme est le seul "dispositif" susceptible de produire cette connaissance : cette production se fait toutefois encore selon des modalités souvent primaires, liées aux intérêts et aux avantages d'un petit nombre, et non à une stratégie liée aux intérêts du système social. On voudrait faire croire que la connaissance, élaborée dans le cadre d’un processus de recherche, est objective, neutre, et vraie, quelle que soit son utilisation et les ressources qu’elle implique. Ceci est contraire aux conceptions et aux constructions systémiques, qui impliquent le contexte, l'utilisation et l'interaction avec l’environnement social. En outre, ceci nie le concept même de "production" que l'on remplace par celui de "découverte", sans prise de conscience de l’intérêt des connaissances quant au "statut de l'homme".
Cette prise de conscience procède en effet de la multidisciplinarité, et parfois, de l’interdisciplinarité (chap. 6).
La phase qui se profile aujourd'hui est celle d'une société post-industrielle où l'on perçoit la nécessité d'agir avec une stratégie, une perspective à long terme, dans un scénario complexe tenant compte à la fois du temps et de l'espace. Les multiples connaissances que l’on gère ont une efficacité qui permet de réaliser des projets au niveau de la société et de l’espèce humaine entière, et pas seulement à celui d'un groupe, d'un pays, ou même d'un continent. Ne pas penser et agir au niveau global est contre-productif. L’économie à courte vue est souvent contre-productive.
La recherche du "multi-" coïncide avec la capacité de gérer et d’activer la compétition et la coopération, à l’aide de connaissances diverses, et surtout du seul "dispositif" capable de générer un arbitrage (chap. 4), à savoir l’homme.
En fait, une telle démarche n'a de sens qu’avec une nouvelle approche de la cognition, qui ne laisse plus le monopole de la pensée scientifique au seul symbolisme : l'émergence du sub-symbolique, matérialisé par exemple dans les réseaux de neurones, met en évidence la puissance d'une approche qui ne privilégie pas l’explicitation des règles pour définir une action, mais la capacité d'apprendre, de s'adapter au contexte, d'utiliser des contradictions symboliques.
Un telle approche, simulée sur ordinateur, orientée vers les systèmes dotés d'ouverture logique, s’appelle le connexionisme.
La systémique peut être présentée comme une "discipline des disciplines", la discipline des "tissus connectifs", une discipline de l’harmonie et de la composition, une discipline qui a besoin de points de vue différents, fortement abductifs : "la table doit être dressée avec le plus grand nombre de plats possible".
Un autre exemple d'application concrète fait appel à la "dynamique des systèmes". Cette approche a été développée au M.I.T. ; elle est indissociablement liée au nom de I. W. Forrester, qui a introduit et validé des modèles permettant de prédire l'évolution des systèmes complexes, à partir de simulations sur ordinateur du comportement de leurs éléments, et des interactions entre ces derniers. Cette thématique, née dans le cadre de l'automatisme industriel, a amené à définir des modalités et des instruments (conceptuels et aussi logiciels) qui, à partir de variables et d’interactions choisies et sélectionnées par abduction, permettent non seulement de représenter, mais aussi de réaliser concrètement le modèle du devenir d’un système donné. L’utilisateur décrit le modèle d'un système, en termes de variables et d’interactions, et il peut alors expérimenter ce modèle pour différentes valeurs de départ des paramètres, déterminant autant de développements différents du système, pour un ensemble donné de variables.
L’approche conceptuelle de la dynamique des systèmes a entraîné le développement de différents types de logiciels et d'applications. En premier lieu, le langage Dynamo permet de définir des modèles de simulation de systèmes continus, dont le fonctionnement dépend davantage d'un flux d'événements concaténés que de la réalisation d'événements séparés, isolés.
Le Club de Rome, groupe international d’éminents scientifiques, politiciens et hommes d'affaires, a invité en août 1970 le groupe de dynamique des systèmes du M.I.T. à entreprendre une étude sur les tendances et les interactions d'un certain nombre de facteurs dont dépend le sort de l’ensemble de notre société. "L'étude du MIT financée par la fondation Wolkswagen a pour but de définir clairement les limites physiques et les contraintes liées à la multiplication du genre humain et à son activité matérielle sur notre planète". Le modèle proposé s'appelait Monde 3. Plus de vingt ans après, le même problème réapparaît et est traité avec la même méthodologie, fondée sur la dynamique des systèmes (3). Monde 3 est réactualisé à l’aide du langage Etoile (générant la version Monde 3/91), à partir du comportement du modèle dans la période 1970-1990.
Il est intéressant de remarquer que la dynamique des systèmes
a donné lieu à de nombreuses applications, surtout dans le
domaine de la didactique. Dans ce domaine, en effet, de nombreux logiciels
mettent efficacement en évidence les problèmes de construction
d'un modèle, le choix abductif des variables et de leurs interactions,
les modes d'action des modèles simulant les devenirs à choisir.
La systémique est un processus culturel qui émerge et se manifeste dans différents domaines, sous des formes diverses. On a en effet ressenti la nécessité de penser en termes de systèmes pour pouvoir affronter les problèmes d'une manière plus efficace. Les mêmes raisons avaient déjà donné naissance notamment au "vitalisme" en biologie, à la "Gestalt" en psychologie, à la théorie du contrôle et aux recherches sur la complexité, en physique. On peut considérer les mathématiques de la complexité (avec les attracteurs), ou les applications des réseaux de neurones comme des matérialisations de ces thèmes. Dans d'autres domaines, comme celui de l’art, la matérialisation est moins explicite, mais on peut voir la production artistique des systèmes sociaux (qui apparaît de manière continue dans la peinture, la musique, la littérature, l’architecture ...), et ses tentatives de reconnaître et de transformer les styles, comme une des manifestations de ces thèmes.
On peut par conséquent définir la systémique comme un mouvement qui s'est dégagé d’initiatives spécifiques , pour soutenir une entreprise culturelle globale. Il semble utile de proposer ici une "photographie", certes limitée et incomplète de ces initiatives, mais qui peut servir aux étudiants et enseignants, qu’ils tombent par hasard sur les domaines où sont nées ces initiatives, où qu’ils les recherchent. Toutes les sociétés de recherches sur la systémique figurant sur cette "photographie" peuvent fournir informations et documentation, ainsi que les coordonnées de personnes pouvant compléter ces informations.
1. La International Society for the Systems Sciences (ISSS) publie tous les trois mois un bulletin faisant le bilan des initiatives, des rencontres, des recherches et des publications dans le monde. Cette société de recherche fait suite à la Society for the General Systems Research (SGSR), fondée au début des années cinquante par L. von Bertalanffy.
Les congrès qu'elle organise chaque année et le actes de ces congrès constituent un point de repère culturel pour toute la communauté systémique. Tous les membres de cette société sont des personnes physiques.
Ses coordonnées sont les suivantes :
2. L'Union Européenne de Systémique (UES), fondée en 1988, a pour objectif le développement de la recherche dans le domaine de la systémique en Europe. L’U.E.S. est une union de sociétés de recherche européennes.
Elle organise des écoles et des congrès où se diffuse la connaissance systémique et où l'on fait le point sur la recherche mondiale, principalement européenne, en la matière. Plus de vingt pays ont participé à ces différentes manifestations. Le premier congrès de l’U.E.S. a eu lieu à Lausanne en 1989, le deuxième à Prague en 1993, le troisième à Rome, en 1996, le quatrième à Valencia, Espagne, en 1999. Le prochain congrès aura lieu en octobre 2002 en Crête.
Actuellement, ont adhéré à l' U.E.S. :
( http://www.afscet.asso.fr/ues
Secrétariat :
c/o Association Française de Science des Systèmes
Cybernétiques, Cognitifs et Techniques (AFSCET) Conseil d'Etat Place
du Palais Royal 75001 Paris, FRANCE
http://www.afscet.asso.fr/ )
e-mail: afscet@afscet.asso.fr
Ses coordonées :
4. L'International Systems Institute (ISI), institut créé et présidé par une personnalité prestigieuse, B. H. Banathy, a pour but de susciter des recherches et des rencontres au niveau international dans le domaine de la systémique. L'institut organise des "conversations", des rencontres, qui sont l'occasion d'échanges et d’activation de problématiques comme l'éthique, la didactique, les projets de systèmes d'apprentissage ou de système social. L'institut organise un "Conseil transnational" qui veut promouvoir, bien plus qu’une approche internationale, une approche transculturelle.
Ses membres sont des personnes physiques, appartenant à une vingtaine de pays différents. Il s'agit donc d'une institution "transversale", au niveau mondial.
Ses coordonnées sont :
5. L'Associazione Italiana per la Ricerca sui Sistemi (AIRS) a été fondée au début des années 80 après avoir fait partie de l'International Society for the Systems Sciences (ISSS) en tant que division italienne de ce même Institut. Sont traités en particulier les thèmes tels que ceux de l'ouverture, de l'adaptation, de l'apprentissage, des approches psychologiques et systémiques de l'Intelligence Artificielle, de la dynamique des systèmes - économiques et sociaux -, de la systémique en médecine (l'homme comme un tout), et l'application de la systémique à des problèmes de nature diverse, en musique et dans le domaine de l'art en général. L'AIRS a une approche spécifiquement culturelle. Ses coordonnées sont :
Citons encore :
1. American Society for Cybernetics (ASC) http://www.asc-cybernetics.org/
1.2 A l'adresse : http://pespmc1.vub.ac.be/ASC/indexASC.html on trouvera
- ASC, un glossaire de cybernétique et de systémique.
- Les définitions de ce glossaire électronique qui ne sont pas indicées proviennent d'un document de travail, le glossaire de cybernétique et de théorie des systèmes, de l'American Society for Cybernetics. Ce dernier a été lui même élaboré à partir de différentes sources indiquées ci-dessous.
ASC est mis à jour par Stuart Umpleby (UMPLEBY@gwuvm.gwu.edu) et Jixuan Hu (JIXUANHU@gwuvm.gwu.edu).
On peut aussi télécharger ASC comme un fichier, avec ftp.
1.3 La liste des sociétés de cybernétique et de systémique est disponible à l'adresse : http://pespmc1.vub.ac.be/SOCIETIES.html
3. System Dynamics Society, Milne Hall 300, Rockefeller College, U. of A., 135 Western Avenue, Albany, NY 12222, USA, http://www.albany.edu/cpr/sds/
4. United Kingdom Systems Society http://cis.paisley.ac.uk/ukss
5. World Organisation of Systems and Cybernetics (WOSC) http://ourworld.compuserve.com/homepages/AlexAndrew/wosc.htm
, et
http//:www.cybsoc.org./wosc
Adresse postale : WOSC, 2 rue de Vouillé,
75O15 Paris France.
6. Santa Fe Institute http://www.santafe.edu/
7. New England Complex Systems Institute http://www.necsi.org
Il est important de présenter les références, même
brèves et incomplètes, des diverses publications qui paraissent
dans le domaine de la systémique :
REVUES SYSTEMIQUES
.
Journal scientifique, publié par le département d'informatique
de l'université de Szeged, Hongrie. http://www.inf.u-szeged.hu/local/acta/
JOURNAL OF CYBERNETICS AND HUMAN KNOWING
Søren Brier (Editeur).
DK 9220 Aalborg, Denmark
http://www.imprint-academic.demon.co.uk/C&HK/revcyber.htm
CYBERNETICS AND SYSTEMS
HUMAN SYSTEMS MANAGEMENT
Editeur-en-chef: M. Zeleny
The Joseph A. Martino Graduate School of Business Administration, Fordham
University at Lincoln Center, New York, NY 10023, USA, E-mail: zeleny@mary.fordham.edu
Editeur nord américain
John P. van Gigch
1219 La Siera Dr. Sacramento, CA 95864-3049, USA
Editeur européen
Malcolm Warner
Université de Cambridge, 10 Chalcot Cresent, London NW1 8YD,
UK
http://www.iospress.nl/site/html/01672533.html
George J. Klir,
Département de Science des systèmes, Thomas J. Watson School of Engineering and Applied Science, State University of New York, Binghamton, New York 13902-6000, USA
INTERNATIONAL JOURNAL OF SYSTEMS SCIENCE
Editeur: Professor Peter Fleming, Département d'Automatique, de Contrôle et d'Ingéniérie des systèmes, Université de Sheffield, Mappin Street, Sheffield S1 3JD, Angleterre.
http://www.tandf.co.uk/journals/frameloader.html?http://www.tandf.co.uk/journals/tf/00207721.html
KYBERNETES
Revue officielle de la WOSC (World Organisation of Systems and Cybernetics).
Publiée par Emerald, 60-62 Toller Lane, Bradford, West Yorkshire,
BD89BY, Angleterre.
Rédacteur en chef : Prof. Brian H. Rudall
http://www.emerald-library.com
JOURNAL OF APPLIED SYSTEMS STUDIES
Methodologies and Applications for Systems Approaches
Publié par "Cambridge International Science Publishing", Cambridge, Angleterre.
SYSTEMS RESEARCH AND BEHAVIORAL SCIENCE
Publié par John Wiley & Sons, Ltd.
http://www.interscience.wiley.com/jpages/1092-7026/
RES-SYSTEMICA
REVUE EUROPEENNE DE SYSTEMIQUE
EUROPEAN SYSTEMS SCIENCE JOURNAL
Gianfranco Minati (Email: <gianfranco.minati@iol.it,
http://web.tiscalinet.it/gminati)
est attaché au Saybrook Graduate school and Research Center deSan
Francisco http://www.saybrook.edu/.
Il est président de l'Association Italienne pour la Recherche
sur les Systèmes (AIRS) http://AIRS.it/.
Il
est chercheur dans le cadre de l'International Systems Institute
(ISI)
de San Francisco http://www.clark.net/pub/nhp/isi/isi.html,
et il est consultant en entreprise. Ses thèmes de recherche actuels
sont la théorie des systèmes, les comportements
collectifs, l'emergence, l'éthique et l'élaboration
sémantique. Il est l’auteur de plusieurs livres et articles,
et a animé plusieurs séminaires en Italie et à l'étranger.
Il est membre de nombreuses associations scientifiques et professionnelles
aux Etats-Unis, en France et en Angleterre ; il est vice président
de l'Union Européenne de Systémique (UES) http://www.afscet.asso.fr/ues;
membre du comité international d'édition de la revue scientifique
"Systems Research" et de la direction de l'International Federation
for System Research (IFSR) http://www.ifsr.org/general.html